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Découvrant les premiers disques du duo tchèque Birds Build Nests Underground, on se trouvait en présence d’un épais tissage, non pas tavelé, mais moiré, ce qui n’est pas un travail des plus faciles lorsqu’on procède, comme eux, principalement avec des platines. On connaît de fameux précédents, tels Philip Jeck et Janek Schaefer, qui montrent en chaque endroit de leur œuvre les deux qualités complémentaires du rêve que sont le rebondissement et la fluidité. BBNU a ensuite fait muter sa musique, vers plus de complexité, au détriment parfois de la solidité de la texture. Petr Ferenc, moitié du duo, en s’associant à Martin Janíček, retrouve le bouillonnement ininterrompu des premiers travaux de BBNU. Tah est un disque tournoyant, aux sonorités industrielles et vrombissantes, comme recueillies dans le creux d’une citerne désaffectée et reconvertie en resserre aux métaux déclassés. Diverses densités, de multiples rouilles, s’y côtoient en effet, s’amalgamant en un entrelacs de filins, tressés en cercle, du grondant à l’abrasif, du bourdonnant au miroitant, en passant par le crépitement obligé des vinyles sur platines. L’atelier évoque parfois celui de Jon Müller, avec ou sans Asmus Tietchens. Une telle drone music est fascinante, en ce qu’elle ne naît pas de cordes, de vent ou de touches, mais de matériaux proche de leur origine, décidés à la première mise en voix, dévoilant le mystère de l’hélice sonore, de même que le métal chauffé à rouge dessine des motifs palpitants, alternant avec le noir, donnant le rythme dans leur dissolution.
De telles retrouvailles avec les figures primordiales de la matière, dont le son, on le sait désormais, peut rendre compte tout aussi bien que la peinture ou la poésie, de telles retrouvailles ne sont pas, ou plus, menées avec un pareil rythme dans la musique de Birds Build Nests Underground. Est-ce à dire qu’elle a perdu tout intérêt ? Non, évidemment, mais depuis l’album Bohnice, Babí Léto, Scéna Polí5, elle s’offre à un autre surréalisme, non plus celui de la pâte épaisse, mais bien des claudications, des escarpements. Pour ceci, on convoque comme souvent les sons de cuivre. Les vinyles préparés sont donc nombreux où l’on trouve trompette, saxophone, cor… De paysage la musique est devenue scène, non de forces naturelles, mais d’interventions. Le tout est de découvrir un liant, comme au milieu d’un orchestre de musiciens munis de bouchons d’oreille ! L’entrée est déstabilisante ; et une fois le centre de gravité bouleversé, on retrouve par force de percussions, de soulèvements métalliques, une sorte de grondement tellurique qui se fait le nouveau porteur. Car le duo Petr Ferenc / Michal Brunclík peut décider de privilégier les reliefs à la texture, il reste l’enfant de ses recherches, de ses savantes formules d’amalgame et, aussi loin du centre que leurs nouvelles expériences les conduisent, ils semblent avoir gardé avec lui le lien d’un fil de vie, les garantissant en dernier recours contre l’anarchie sonore, celui que le plunderphonics a érigé en esthétique ultime, et que BBNU a toujours su contourner. Ainsi assuré dans le même temps que les musiciens, l’auditeur peut partir plus sereinement à l’aventure, visiter comme avec Philippe Petit des contrées oniriques (boucles de voix envoûtantes, mêlées de babillages lumineux, pavés de cordes inquiétantes, incantations en perte de vitesse, vrombissement aériens, rafales métalliques), en un mot et jusqu’au plus profond des marécages et de l’aventure, se laisser conduire. (PS : à ces images sonores répondent d’autres images, le live en super 8 que réalise et projette celui que l’on peut considérer comme le troisième membre du groupe, Martin Ježek. Le CD So As offre un piste vidéo de 10 minutes de ces images anciennes et variées, auxquelles l’agencement donne une incompréhensible complicité dans leur déroulement : superposition, fondus, succession, reconstruction extrême d’une réalité empruntée auX passéS).
Denis Boyer
2013-01-01