Idiosyncratics
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Tout amour est assurément fantôme, en ce qu’il fait surgir, le temps de l’effondrement et au même titre que l’art, ce qui en nous ne parle pas, ce qui ne parlait pas. Le traquer, comme toute entreprise nostalgique, est un jeu où le passé est dévoilé sur ce qu’il a de plus présent, de plus éminemment présent, de présent pur. Pour un tel acte de bravoure, Phil Maggi a déjoué le temps ; mais aussi l’espace. Il a rapporté de ses voyages en Europe centrale, en Europe de l’est, des enregistrements, témoignages de traditions qui sont autant de pas, de portes vers ce que le passé réactualisé, filtré, nous montre et que nous ne parvenons pas toujours à saisir dans le présent. Le goût des rythmes, simples et ancestraux serait-on tenté de dire, assure cette permanence. Pour l’image, on songe souvent à Zoviet*France (et l’on sait combien l’Europe centrale représentait une terre de rêve pour le groupe anglais) et au plus brillant de ses surgeons : Rapoon. Mais ce n’est pas tout ; pas plus que la musique de l’Anglais, celle du Belge ne peut se réduire à un quelconque badigeonnage « ethnonirique ». Ici et là, la gravure est plus profonde, c’est l’accès à l’éclair, le jaillissement du temps, dans le temps, solidifié puis assoupli. Les belles esquisses de mélodies planent alors comme une encre dans l’eau : quelques voix parfois, des fantômes de chants, des dessins de cire, de vinyles, extraites en leur essence, pour se greffer à l’univers de Phil Maggi. C’est pourquoi des trilles d’oiseaux les traversent, que les boucles les plus orientales se nimbent et se floutent comme au travers d’un verre dépoli. Ce n’est pas un collage, pas plus qu’un rêve ne l’est, ce n’est pas un recyclage, pas plus qu’une mémoire ne l’est. C’est la musique, fluide et mouvementée dans le même temps, de la passion réinventée, l’agglomération de ce que les sens ont saisi, et que la mémoire assemble, pour se bâtir un temple.
Denis Boyer
2012-07-13