Monotype Rec.
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Redire ici combien l’œuvre tout entière de Tetsuo Furudate est dévouée à la littérature occidentale permettra à ceux qui n’en sont pas encore conscients de comprendre le degré d’effacement qu’a atteint ici l’artiste japonais. Ses disques renvoient – et l’intensité de ce reflet est variable selon le travail considéré – l’influence de Maurice Blanchot, Emmanuel Levinas, William Shakespeare, Arthur Schopenhauer, Henry James, Georg Büchner… Depuis qu’il m’avait annoncé travailler sur Le bleu du ciel de Georges Bataille, je m’interrogeai sur le tour qu’allait prendre ainsi sa musique orageuse, dans le mouvement d’un des livres les plus narratifs de ceux qu’il avait investis. La surprise est de taille : les turbulences de Tetsuo Furudate sont, de la même manière que le piano d’Olga Magieres qui l’accompagne ici, des bruits de fond. Ils débutent, tous ensemble, glissements, notes erratiques, drone électrique, pulsation sourde, dans un lointain qui creuse le plan du paysage. La figure absente des premières minutes se fait attendre, les résonances tectoniques de Furudate s’organisent en pas, en portes claquées, et peu à peu le dessin se précise en manière d’appartement, ou de chambre d’hôtel. Lorsque survient la lecture – le jeu de Christophe Charles –, c’est pour offrir en français le premier plan aux dix pages d’introduction du Bleu du ciel. Presque machinale, d’une belle gravité, la voix du narrateur expose tantôt la chair tantôt le métal, mais c’est sans rapport avec la dureté de l’instant dans le texte, cette succession semble plutôt obéir à un rythme interne, lequel trouve à s’accorder parfois avec celui des mots, présentation d’un couple en rupture du monde, prisonnier d’une extrémité que celles des sens peuvent à peine traduire, en tout cas pour qui elles n’affolent que l’instant, que le corps refuse en trop plein, et que l’esprit exige plus intense. « Dirty était ivre, elle l’était au dernier degré. » La convulsion violente de Dirty est ainsi en totale opposition avec l’intensité pleine que Bataille atteint ici, que la musique figure dans son minimalisme clinique. Le bourdon gris crépite de flammèches aussitôt éteintes, et de même que la belle voix pleine, elle porte l’indifférence aux remugles des humeurs, des souillures. Et si pour suivre cette longue pièce d’épouvante froide, dont le texte et la musique répondent l’un et l’autre à L’arrêt de mort de Blanchot et à l’interprétation que Furudate en avait proposée, il y a des préludes – Chopin, Bach (Le clavier bien tempéré) sont explorés par le piano (Magieres), puis remplacés (leur souvenir est violenté) par un violon de chambre froide (Furudate) –, ce sont, comme d’autres subtilités européennes filtrées par la terreur glacée, des convulsions arrêtées.
Denis Boyer
2011-08-14