Staalplaat
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L’orgue n’est pas le seul instrument de Mudboy, mais bien le centre de sa musique. Les autres sons, électroniques ou d’origine concrète par exemple, s’y insèrent plus encore qu’ils ne naviguent autour, dans le mouvement d’une calme gravité. L’orgue donc, et la vague douce qu’il pose – des boucles qui traînent la pâte intemporelle de cet instrument ultime –, et la mélange aux évocations rétro-futuristes semées par son utilisation électrisée dans la décennie 70. Ce flux parfois s’apaise comme un enfant ensommeillé après le jeu. Sur cet enregistrement de la série Mort aux vaches pour la radio néerlandaise VPRO, les débuts et les fins de périodes dévoilent, comme le vent sur une plage, les petites ponctuations expérimentales qui scintillent dans toute la musique de Mudboy, qu’elle soit lumineuse ou, en d’autres endroits, nocturnes. C’est qu’elle est, une fois encore, circulaire, et que ses phases évoquent un petit monde et ses saisons, ses nuits et ses jours, son cycle. La musique de Mudboy est à la fois modeste et profonde, s’arrange de peu. Elle est bien plus un artisanat qu’un coup d’éclat et, qu’elle inquiète ou rassure, qu’elle égare ou mène au centre, elle est le plus souvent juste, en ce sens qu’elle révèle ce que toute mue, tout écorçage met à nu ; pour elle, le mouvement vital permet à chaque instant de cet enregistrement un accord avec cette justesse – magie de l’écoulement, de la boîte à rythme, de l’orgue toujours. Pour Ignatz, autre pseudonyme solitaire, l’enregistrement Mort aux vaches est un long parcours où la guitare occupe la même place, le même rôle, que ceux joués par l’orgue chez Mudboy. A la fois instrument d’élection et seul capable à cet instant de traduire l’élan, il est un écoulement choisi de la source. A celle-ci, trouvée parfois dans le voile blues d’accords et de chantonnements irradiant le blanc du couchant, correspond aussi l’aube, un orient qui n’est pas qu’une naissance lumineuse, mais qui s’appuie dans certaines évocations bouclées, quelques fantômes d’arabesques, des torsions de cordes qui plongent dans l’imaginaire d’un désert traversé épisodiquement. Chaleur et mesure se rencontrent ici, dans ces cordes jouées lentement, réverbérées jusque dans la saturation lumineuse, bourdonnantes ou fuyantes. Comme le sable, à bien regarder, l’immensité devient population innombrable et en cela les vibrations d’harmoniques répondent à quelques tintements cristallins, à un déroulement de vieux cinématographe, à l’avalanche d’un orage attendu. En fait, ces deux disques partagent bien plus qu’une même collection d’enregistrement. Ils relèvent l’un et l’autre de ce que j’appellerais le petit folk, un chemin que la musique expérimentale a retrouvé en cherchant les vibrations primordiales des instruments harmoniques, synchronisant leur pulsation sur celle, au moins aussi instinctive, que l’homme d’avant la science avait calée sur son intuition du monde.
Denis Boyer
2010-12-20