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On a emprunté les détails d’un tableau célèbre de Caspar David Friedrich, La mer de glaces (L’épave du Hoffnung), pour construire la pochette du disque de Frank Rothkamm, et s’il faut trouver un lien entre deux œuvres en apparence si étrangères l’une à l’autre, c’est bien dans la considération paysagère de l’événement. Pour l’un le tragique d’un bateau naufragé dans les glaces en tentant de franchir le fameux passage du nord-ouest, pour l’autre le jeu de reflet que cordes et cascades cristallines connaissent dans le filtre des synthétiseurs de Rothkamm. ALT balaie vingt années de compositions, et, de l’ouverture en pulsation d’écho en pleine obscurité aux déploiements d’harmoniques bouclés et d’ébauches mélodiques fracturées et cicatrisées dans le flux de l’épaisseur analogique, l’impression d’un panorama se confirme. Si La mer de glaces est sans doute le plus anguleux des tableaux de Friedrich, montrant bien plus les échardes de banquise que le pauvre navire aux trois quarts enfoui, la musique de Rothkamm s’y accorde ; d’un autre milieu réputé stérile, hostile, il magnifie l’écoute : c’est la musique de l’espace, les ondulations cristallines et vrombissantes de l’angoisse d’une dérive, des pérégrinations sans retour dans la proximité du zéro absolu. Les vagues aux accents de theremin y chantent un gel, dépourvu de glaces mais tout aussi fatal. Les mécaniques jeux de doigts sur les touches évoquent un tableau de bord lumineux aux lumières bavardes, carrées. Les vagues d’harmoniques ondulants enrubannés de chants élégiaques participent à cette vision d’aurore sublime. C’est bien le mot qui finit par s’imposer, dès que l’on accueille ce froid et ce minimalisme comme une image du dernier chemin, à parcourir comme une aventure romantique dans l’invivable.
Denis Boyer
2010-01-18