Menstrual Recordings
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Tout le travail de Tetsuo Furudate tourne autour de l’idée de mort, et ce ne sont pas ces deux disques publiés récemment par le label italien Menstrual Recordings qui en perturberont l’orbite. Tout d’abord, une compilation de morceaux épars, Pieces of Tetsuo Furudate, certains live et d’autres enregistrés en studio, montre bien l’ampleur de la respiration du dernier jour, vague de cendres et cris, percussions de fin du monde et distorsion de guitare à la chaleur atomique, vent trop chaud et spasmes symphoniques. Le geste dont on ne sait s’il est d’attaque ou de défense, comme un réflexe, est celui que Tetsuo Furudate privilégie, comme des déflagrations confuses. Mais ce disque est aussi l’endroit où se déploient, plus souvent qu’à l’habitude, des linéarités, jusqu’à la mélodie, orgue, chantonnement, tragédie simple. Le bourdon d’harmoniques mélancoliques n’est pas absent du paysage, lorsque l’énergie se retire, et que l’aube se confond avec un éternel crépuscule. C’est de toute tristesse, de gris et d’ocre, ouvrant une autre dimension du drame. L’autre disque, One day an old phantom passed above my head, semble toutes les contenir, qui est en fait composé d’une longue pièce, dans laquelle le champ / chant naturel des premières minutes est déchiré par le vol d’un avion de chasse. Son vrombissement dans le lointain vertical, cette irruption, n’est pas seulement prétexte à un glissement sémantique entre deux acceptions du mot phantom, mais constitue tout à la fois une rupture et une ouverture dans la musique du disque, et son élargissement à l’idée de fracture. Les tremblements, les rugissements, familiers dans l’œuvre du musicien japonais, apparaissent alors, en scène pour une nouvelle représentation du cataclysme de la fin. Faute de mieux, tous ceux qui sont préoccupés par cette idée de l’indicible, du moment de passage de vie à trépas, sont mis en demeure de figurer selon leur mode d’expression ce gouffre d’éternité. Pour Tetsuo Furudate, c’est la cataracte, rideau de son effondré, prenant avec lui la totalité de la matière. Pour accéder à l’état de fantôme, il fait aussi appel à quelques extraits de films qu’il affectionne – Nostalghia d’Andrey Tarkovsky, Orphée de Jean Cocteau, etc. – autant de voix du passage. Lorsque le drone de haute densité, magma de noyau, finit par accuser la forme du son de l’avion, il s’efface, ayant rempli sa mission tératogène, ouvrant le possible musical à de plus nombreuses fréquences. Il ne s’agit pourtant pas de la plus symphonique des compositions de Tetsuo Furudate, loin de là, celle-ci se concentre sur le spectre de la vibration basse, comme image sans doute de la recherche d’une noirceur archétypale. Le retour au calme est peut-être plus effrayant en fait, la mutation ontologique ramenant au seul paysage de départ, semble-t-il, augmenté d’un drone chromé mais perturbé d’une percussion distribuée comme des coups ; il faut attendre les dernières minutes pour que cette traversée du fleuve nocturne conduise au rivage sans vague, calme oui, mais nimbé comme il se doit de tristesse.
Denis Boyer
2010-01-18