Sub Rosa
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Ce troisième volume de World as will n’a pas d’abord la puissance conceptuelle des deux précédents car les trois pièces qui le composent (jouées avec l’aide de l’ensemble Zeitkratzer) sont une collection de compositions dispersées, la première écrite par les deux artistes ensemble, la deuxième par Furudate seul, et la troisième par Karkowski seul. Si cette nouvelle déclinaison musicale de Le monde comme volonté de Schopenhauer rassemble des œuvres réalisées entre 2003 et 2005, leur parenté semble malgré cela évidente, d’abord avec la métaphore démiurgique que le titre appelle, et ensuite entre elles. Savoir si le projet World as will les a profondément guidées dans leur conception sera difficile, reste à observer si elles répondent aux équilibres et aux choix esthétiques que les deux premiers volumes distribuaient : la braise, la forge, le tonnerre souterrain, lieu de concentration énergétique où le rythme de fonderie règle l’épanchement du métal en fusion. Ces pièces sèches de musique industrielle symphonique se trouvent réverbérées ici, toutes combinaisons équilibrées dans la pièce commune, Mergence, un labyrinthe de compression et de secousses créatrices. Ce n’est pas bruit pur, la forme est donnée, tournée dans une suite de gestes qui semblent jouer la mathématique d’une respiration primordiale. Le souffle finit par aérer, fixer, dissiper les vapeurs et faire la masse plus tendue, moins explosive, elle se garde alors de lancer la foudre : elle accumule dans sa pulsation métallique une force qui dont un fil bleu acier se tend, même si l’on entend gronder au loin la nappe de magma d’où la forme s’extrait. Below the demarcation, de Furudate, prolonge ce final, comme s’il était plus de son fait. Douleur de cordes, abrasion, et étincelles se lovent en spirale peu à peu, pour monter en densité, en température et, grâce au talent du compositeur et des exécutants, les sons ne s’anéantissent pas les uns les autres, bien que leur fusion ne fasse plus de doute : plutôt un mélange. Cette ascension en pondération, on le jurerait si on ne savait pas les morceaux séparés par le temps et l’espace, semble préparer la formidable épaisseur de la pièce finale, œuvre de Karkowski. L’intensité noise qui le caractérise, alliée à la complexité classique qu’il emploie dans plusieurs de ses travaux, font retrouver la condensation de la composition commune. L’hésitation est balayée, les trois parties de World as will III sont effectivement isolées dans leurs paramètres de conception, il reste que le choix de leur placement, de leur enchaînement, répond absolument au projet des deux premiers essais, en décomposant et recomposant leur matière qui ne cesse de s’emplir de tant de représentations métaphoriques, ébauches d’un monde.
Denis Boyer
2009-02-22