La courte discographie de Hecq / Lukas Boysen est déjà pleine de contrastes. Quatre albums précèdent celui-ci et ils n’ont pas, malgré leur projet commun, cadencé et cinématographique, les mêmes vertus. Un talent mélodique sûr, couplé à un goût pour les complexités de programmation rythmique, et c’est déjà un atout ou un handicap : que faire d’un tel foisonnement d’images ? Beefcake, Katoo et Gridlock s’y sont déjà embourbés eux aussi. A trop ensoleiller les panoramas qui recréent l’image dans la musique, on risque parfois de saturer l’imagination, ou pire, de la brimer. Quant aux écueils d’un certain mauvais goût de la luxuriance, Hecq, sur ses premier et quatrième albums, n’a pas pu y échapper plus que ses homologues cités. Night falls s’annonce comme un album de la rupture, de l’entrée dans une ère d’austérité. Le titre, pas plus que la pochette, un quasi-monochrome noir, n’est anecdotique. S’ils sont tous deux aussi emphatiques, c’est pour prévenir de la radicalité de la plongée. Loin de la lumière, un adieu. Le monochrome rappelle évidemment, dans les œuvres récentes, la trilogie Black Mass de Darrin Verhagen ou le Black earth de Bohren & Der Club Of Gore, une autre formation qui inaugurait ainsi son assagissement. Plus sage, et plus grave aussi. Quant à Darrin Verhagen, il est indéniable que ses premiers albums sous le nom de Shinjuku Thief sont aujourd’hui devenus des références, au même titre que ceux de son aîné In Slaughter Natives, dans le domaine de la musique cinématographique gothique, et qu’il a pratiqué lui aussi par la suite des exercices plus profonds encore, plus abstraits et tendus. Sa musique est devenue un modèle pour une génération de compositeurs héritant de la musique postindustrielle, de la symphonie virtuelle et de l’expressionnisme cinématographique. Hecq n’a certainement pas échappé à cette influence. Night falls débute par un lent balayage de nappe naissante, une qui se déploie lorsque les rayons du soleil faiblissent, rosissent le ciel pour peu à peu estomper les contours. Pourtant, elle n’a rien d’imprécis, elle est au contraire habilement fuselée, timide mais ondulante. Elle se double bientôt, comme les cordes les plus lumineuses de l’orchestre, d’un reflet plus grave, d’un écho de basse formant avec elle ce cadre mouvant que l’intuition musicale de Hecq a toujours su tracer. Plus élégiaques encore, des sons de cors, de voix peut-être, dramatisent un peu plus cette entrée dans la matière noire. L’album prolonge cette vêpre en la ponctuant, par la mélodie minimaliste d’ébullitions nuageuses, d’accords prenant à l’échelle du paysage la régularité des vallons dans une région volcanique, et même par quelques rares pluies de percussions qui figurent sans doute la marche vers le soir plus profond. Mais dans Night falls, toujours la nappe s’impose, voile noir d’une fin et d’un commencement, souffle céleste ou brume de prairie grasse, elle éblouit dans la majesté contenue de son élégance néoclassique. Cette cérémonie d’adieu au jour en fait par essence un disque profondément romantique : le repli sur soi et sur ses propres abysses se développe dans les profondes élégies de lumière noire. L’épopée est toujours dans l’horizon mais c’est celle d’un voyage crépusculaire.
D.B.
2008-09-15