Monochrome Vision
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A la manière d’un conservateur de musée, le label moscovite Monochrome Vision publie exclusivement des enregistrements rares ou inédits de figures de la musique expérimentale, pour la plupart composés avant 2000. Les artistes contactés doivent donc exhumer leurs archives, souvent pour dévoiler ce qui n’aurait jamais vu ou revu le jour. On se rappelle les Musiques immobiles de Laurent Pernice, plus récemment Nubes, cometas, rumores y oregas de Rafael Flores (Commando Bruno) ou encore Drilling holes in the wall de Gen Ken Montgomery. C’est avec beaucoup d’émotion que l’on découvre les archives inédites de ce musicien sensible et rare qu’est Batchas. Ses Explorations 85-95 font littéralement plonger dans son univers utérin, essai pour ainsi dire unique de recréation amniotique de la perception dans un cadre de musique industrielle. En vastes masses organiques, ses compositions font entendre le liquide et le rythme cardiaque, le toucher mal assuré et le flux des humeurs. Tous ces chemins, ascendants ou descendants, leur vitesse accordée, les bruits étouffés que telle corniche vasculaire précipite à son passage, se dirigent dans un circuit incessant. Est-il possible d’imaginer le casque comme un instrument générateur d’impression musicale alors que jusqu’à maintenant il n’a servi qu’à la diffuser au plus près de nos oreilles ? La musique de Batchas s’entend comme filtrée par ce casque ou n’importe quel instrument stéthoscopique qui le figurera. Musique d’à travers la peau, les viscères, les côtes, elle atteint pourtant à l’élégie en bien des endroits, elle fait briller une lumière verdâtre qui se déploie et se rétracte au rythme de la pulsation. Elle parvient dans sa rémanence à fixer d’étonnants mirages mélodiques, qui voyagent jusque hors du circuit ou plutôt donnent aux entrailles une dimension cosmique, illimitée, où les vrombissements, les vagues bouillonnantes finissent de se charger pour ce qui est devenu voyage intérieur. Le reflet de l’immensité dans le plus opaque des miroitements est l’une des constantes de ces Explorations 85-95, où la puissance d’évocation est inversement proportionnelle à la quantité de sons mis en œuvre. Cet art du minimalisme fécond n’est pas facile. Et la quasi-totalité des morceaux du double album de David Lee Myers / Arcane Device dénoncent cette difficulté. Il est très souvent malaisé d’affirmer ce qu’a souhaité présenter (plus encore que représenter) un artiste dans son œuvre. On ne peut qu’avancer plus ou moins bravement et espérer, de temps à autre proposer un système qui coïncide avec l’intention. Avec Devices 1987-2007, l’image – l’image totale et chargée – n’a semble-t-il que peu de place et tout est dévolu à la texture et à son mouvement. Exercice de physicien du son, ce panorama montre un technicien dans son atelier, préparant des chutes, des échos, des rugissements, des plaques vitrifiées, un stock qu’il utilise parfois avec plus de bonheur lors de collaborations au destin plus organique et, disons-le plus musical, en compagnie d’Illusion Of Safety ou Thomas Dimuzio.
D.B.
2008-09-15