Elsie And Jack Recordings
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Taalem
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Le but avoué de Christian Renou à la fin des années 90 fut la rupture avec ce qui avait constitué le fonds de son projet musical Brume durant quinze ans : la narration, la dimension filmique, et même, lyrique. Pour cela, il a d’abord abandonné le pseudonyme Brume, aussi potentiellement ouvert fût-il. Cette page tournée et un nouvel équipement (informatique, pour lui qui n’avait travaillé qu’avec des instruments et des bandes) devaient l’aider à trouver la voie du minimalisme, de l’atomisme, de l’extase des formes microscopiques et du courant sinusoïdal. On a pu entendre plusieurs de ses travaux dirigés dans ce sens, comme Fragments & articulations (Groundfault), 7 kisses (EE Tapes) ou sa participation à Dissolution (Fario) en compagnie de Troum. Chaque fois, le mot d’ordre était respecté, dans l’intention, c’est-à-dire qu’on y sent le geste volontairement économe, le paysage sciemment cadré. Mais voilà, il s’agit toujours d’un paysage. L’évidence s’est imposée, et le retour à la méthode avec elle. Aujourd’hui, des travaux comme Ex-voto ou Gone with the wound montrent cette réconciliation, ou plutôt cette résignation au lyrisme de la part d’un artiste qui avait cru pouvoir l’écarter. Les comparer aux disques de Brume (comme les deux premiers d’une longue série de rééditions sur le label russe Waystyx – Accident de chasse et I’m… I come… I was…) ne fera sans doute que confirmer le même tempérament paysager sous un climat différent. Ex-voto est de ces disques de Renou doux-amers, comme une coupe de terrain, alternant les plages mélancoliques, cordes et nappes, ébauches mélodiques gris orangé, et les tranches plus nettement industrielles, éclats métalliques et relents d’abrasion en pointe. D’autres morceaux mêlent ces tendances, comme le survol cette fois horizontal d’un lieu visité puis quitté à l’improviste sans avoir été rangé, oublié pendant trop longtemps pour avoir laissé d’autre chaleur que celle des objets désaffectés, reconstruits en colonie. La beauté y coule comme la goutte le long des concrétions calcaires, phrases de violon, mouvements d’eau, parfois saisie pour se minéraliser, cédant à l’obscurité. Sur le mini-CD Gone with the wound, les façons les plus ambiantes de Christian Renou sont mises en œuvre, dans un flux de lumière et de sable, qui coulent à l’unisson. Jamais seuls, on le sait, ils enrobent des tintements, des tresses de voix, s’affaissent jusqu’à la nappe phréatique, qui s’évase dans la mine, où le vaste bourdonnement exhale des vapeurs droniques d’un bleu nuit, ponctué de rares percussions cuivrées et assourdies. Cette draperie, de surface et de profondeur, montre l’avers et le revers d’une formule complexe, fils mêlés dans un épais tissu qui parfois gagne en densité quand les flots d’harmoniques se rejoignent en titanesque faisceau. Décidément, ces compositions appartiennent bien à la construction bouillonnante et fournie qui fait le sceau de Brume, de Renou, peu importe son nom, et qu’il s’était promis d’abandonner, comme écoeuré de repas trop gras. Le vœu d’ascétisme était à saluer, l’est encore. Mais il n’est de mue qui ne révèle une nouvelle peau veinée, apparentée, estampillée, signée comme l’impose le code de l’individu. Le naturel s’est imposé à nouveau. Mais faut-il le regretter ? Certainement pas. Parce que le monde de Christian Renou, par essence luxuriant, s’est acclimaté à la directive disciplinaire. Un monde complet, étagé, sillonné, habité, alimenté, mais plus oxygéné, comme nettoyé par le geste du paysagiste qui éclaircit le jardin. Les allées tracées ne donnent que plus de recul pour en admirer les ornements.
D.B.
2008-03-15