Glacial Movements
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Soleilmoon
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Invité par Alessandro Tedeschi / Netherworld sur son label Glacial Movements pour participer à l’archétype glaciaire, Robin Storey / Rapoon a choisi d’autres sons que ceux de la banquise. La température y est effectivement basse mais l’éloquence du titre Time frost est bien plus à trouver dans le temps que dans le gel dont tout le monde convient pour l’appréciation de ce projet. La problématique du temps est, pour Robin Storey, cruciale. Nous avons eu l’occasion de nous entretenir avec lui à ce sujet dans l’article qui lui est consacré au sommaire de Fear Drop 13. Temps circulaire plutôt que temps rectiligne, toute son esthétique musicale témoigne d’un choix, non pas actuel mais mythique, et l’intérêt que Robin Storey porte à cette notion s’écoute dans ses boucles tout autant que dans sa restitution d’un monde intact car sans cesse régénéré par le cycle. Time frost est peut-être une version plus combative de cette adhésion platonique à la circularité : geler le temps, l’empêcher de projeter sa ligne droite. Les boucles du disque ont été réalisées à partir d’extraits du Beau Danube bleu (Strauss), sur la version vinyle de la bande originale de 2001 l’odyssée de l’espace. Sillons convoqués, traités et appropriés, ils servent magnifiquement une composition qui s’adapte à un matériau atypique dans la discographie de Rapoon. Lancés vers l’éther, les gestes bleutés sont gorgés d’une sève mélodique, qui monte dans chacune des ramifications. Dociles, celles-ci s’entrelacent, consolident leur ébauche qu’elles répètent, inlassables. Minimaliste par principe, ce disque de Rapoon ne sacrifie rien de la beauté émouvante de son univers. Fuseau gelé et effiloché, ce qui fut corde et vent devient tissage et souffle polaire, balayant le ciel pâle plus que la banquise, encore trop solide. Lorsqu’il a composé ce disque, Robin Storey avait en tête l’éventualité d’un paradoxal abaissement de la température de la Terre en conséquence du réchauffement actuel. Ce phénomène, que prédisent certains spécialistes, sera dû au refroidissement des mers en raison de l’apport massif d’eau froide issue des banquises fondues. On se prend alors à imaginer un ciel inversé, où le courant d’air serait passe d’eau, le drone infra une remontée sous-marine plus qu’un appesantissement de nuage, la crépitante vague lumineuse le frémissement de l’aile d’une raie pélagique. Ne jamais quitter ce beau monde bleu, désormais apaisé, habité des fantômes mélodiques essentiels, prisonniers de leur gangue de glace, les seuls survivants peut-être, se laisser glisser dans un temps désormais engourdi, où la boucle finale du dernier morceau est identique à celle qui ouvre le premier. Quel que soit le signe de sa présence, l’intelligence habite toutes les compositions de Rapoon. Anges, fantômes, démiurges, l’empreinte des uns ou des autres se trouve sur chacun de ses disques. La vie extra-terrestre est une autre métaphore de l’incursion du conscient dans un monde musical valorisant les matières primordiales. Alien glyph morphology, après avoir été un DVD où peinture et musique (les deux activités principales de Robin Storey) s’accompagnaient, et réinventaient des traits et des sons d’une manifestation ontologique, d’un esprit primitif et primordial au travail (voir Fear Drop 13), s’est décliné dans un disque vinyle format 10’’ puis dans un CD du même nom. Celui-ci contient toutes les façons musicales de Rapoon, les images d’un monde en première apparence inhabité, luxuriant et baigné d’une interminable brume que traversent des échos d’harmoniques comme des appels répercutés aux délicates percussions d’arrière-plan à se fédérer en un maillage fluctuant, une mer de boiseries sur laquelle les rayons filtrants jouent de leur reflet. Presque inhabité, mais visité de temps à autre par des voix tout aussi volatiles que les protomélodies elliptiques. Leur distribution en écho, en delay, l’un des effets substantiels de Rapoon, confirme leur nature spirituelle, d’outre ciel, dont le paysage gardera trace par la délicate empreinte hiéroglyphique : vols d’un cor anglais comme celui d’un oiseau tentant de reproduire le chant céleste. C’est un nouveau disque monde, qui, s’il ne dévoile pas de nouvelle contrée, assure une synthèse harmonieuse, à la manière d’un manifeste, celle d’un créateur qui pèse plus que jamais l’équilibre entre l’abstrait et le déroulé, l’harmonie nuageuse et la visite des voix délestées, les sons de la terre et les paradigmes mélancoliques : son cosmos.
D.B.
2008-03-15