Touch / La Baleine
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Cette nuit si courte, c’est celle qui répond à la nuit sans fin, qui dans le même endroit rend l’homme vigilant aux rythmes de son propre corps plus qu’à la course du soleil. Le Nord, ce Nord ultime que le Suédois BJ Nilsen côtoie, est célébré sur The short night comme le point de mire, sans cesse au fond de l’horizon, réalisation d’une vie, d’une errance. Jacques Cartier et tant d’autres en ont fait leur but ou leur passage, ce qui fait peu de différence lorsque le passage est le but. Dans le plus filandreux des brouillards, le nouvel album de BJ Nilsen s’annonce comme le plus abstrait de ses travaux, à distance du dark ambient expressionniste de ses débuts. Hazard semble loin, même sous sa forme la plus mûre. BJ Nilsen s’est libéré de ses attaches narratives pour se permettre les déviations de forme qui lui font parcourir toujours plus de chemin vers son Nord. Pour certains, Le voyage en Orient devient la route vers le Septentrion. Le chemin d’une vie vers l’image de la perfection. L’on s’écarte du chemin, on l’oublie, certains sont amnésiques à perpétuité, et quelques autres le voient qui se trace à nouveau devant eux. Le Nord a ce même attrait, il s’annonce dans les brumes de Front, le morceau d’ouverture, par des gestes secs, des préparatifs envisagés à travers les pans de la tente. Dans La route bleue, Kenneth White raconte ce Labrador rêvé pendant trente ans, et le chemin pour l’atteindre. Ici, la route est tout aussi bleue mais les rencontres humaines sont moins nombreuses car la tradition isolationniste de la musique ambiante postindustrielle n’a pas ces partages dont témoigne la littérature de voyage, d’initiation. La musique de BJ Nilsen (comme celle de Köner et de Biosphere) est le chemin que l’on fait seul, vers la lumière du pôle, dont le temps nous est étranger. Les éclosions lumineuses s’étalent, à l’infini comme le blanc des plaines neigeuses. Elles relèvent le drone cristallin qui est sorti des brumes à la manière de dunes poudreuses ou de fines dentelles, poussées blanchâtres disposées en vaguelettes, ondulant d’une oreille à l’autre, dénonçant à peine leur nature synthétique sur cette banquise d’enregistrements naturels. L’album s’éclaire ainsi peu à peu et de plus en plus, et dans ses moments les plus gris tolère toujours le fantôme mélodique, pour mieux le consacrer, guide du voyage, source idéale d’une matrice à trouver dans le plus hostile, le plus inhospitalier des refuges, mais pourtant ô combien désiré. Tous les morceaux lui rendent hommage, terre des confins, hommes des confins avec elles : Finisterre, Viking North, Icing station, Pole of inaccessibility… Chemin et but, parcours continué ou recommencé. Les crépitations, les pluies de lumière (métal frotté ?), les vagues bleues, toujours renaissantes, sont peut-être, au gré des morceaux, redistribuées comme chaque méridien, extrémité de faisceaux engourdis convergeant vers le pôle. Au ciel, les oiseaux, au sol la neige fondue, au loin le vrombissement du vent glacé, ce paysage n’a d’autre métaphore que lui-même car il est métaphore ultime de bout du monde.
D.B.
2008-03-15