Plus encore sans doute qu’au temps de GMBH (le label qui a en quelque sorte précédé Ferns) cette collection en construction privilégie l’intimité, que le champ soit fermé ou bien ouvert. Le format du mini-CD 3’’ favorise cette approche, dans un format obligatoirement bref mais qui permet un développement plus long que celui de la face de 45t, plus adaptée au « coup d’éclat ». Après Daniel Menche et Michael Northam, c’est au tour de l’Américain Joe Colley (autrefois connu sous le nom de Crawl Unit) d’ouvrir avec Hive un pan de ses résonances personnelles, intéressantes car esthétisées, poétisées, sculptées en objet sonore d’accès universel. La ruche est son lieu d’élection, univers d’aliénation de l’individu, de reproduction du motif (l’alvéole) et de la fonction (ouvrière, nourrice, etc.) mais c’est aussi un joyau fascinant pour qui sait l’observer en géant dont la multitude n’a qu’à peine conscience. Cette position donne le regard d’un dieu et la création de Joe Colley s’entend comme un tableau d’énergie mise en opération, une succession de tempéraments : le drone de milliers de vols accordés, le crépitement plus lointain d’un essor isolé, plus grave, de basses éclosions dont l’échelle monstrueuse plonge l’écoute au cœur même de la ruche. Le traitement des sons par un synthétiseur analogique laisse alors place peu à peu à une chaleur plus naturelle, un bourdonnement au sens propre, une expérience singulière d’observation au plus près, au plus seul. Pour Giancarlo Toniutti, le field recording est plus brut, bien que très sélectionné lors de la prise de son. Pour base, un parcours d’une heure en montagne, une cloche, un ensemble de sons dont la densité d’ensemble du tableau, plutôt faible au départ, est compensée par une forte pression qui rassemble ce que l’on entend comme la conversation du métal et du vent glacé en seul fin bourdon de haute concentration. Aucun peuple d’homme ne s’y ajoute mais la compagnie des micro-sons s’insinue telle une lente et douce érosion. Les vagues bleutées acquiescent et semblent même creuser leur ondulation au dessin des bâtonnets, des crissements et des lentes girations. Le drone s’enkyste, entraîne et signe. Avec Toy Bizarre, l’approche naturaliste est plus précise encore, c’est le choix de l’espace, souvent naturel mais pas exclusivement. Comme il y a longtemps, Cédric Peyronnet / Toy Bizarre a ici fondu divers field recordings captés en différents lieux et différentes époques (1994 à 2007). Lui qui presque toujours dresse le tableau sonore d’un endroit singulier, il a ici recomposé une création panoramique. Il n’y aura sans doute pas moins de force intime car les choix sont motivés. La composition – car il s’agit toujours de composition avec cet artiste de l’intermédiaire, du passage – se découpe en trois parties. La première et la dernière introduisant et fermant le disque d’abord dans une sorte de tumulte, survol en avion puis crépitement, enfin dans un reflet métallique méditatif. Les courts silences de transition, comme des respirations, encadrent plus d’épaisseur et d’unité, un drone en expansion, qui s’effiloche et s’émancipe dans l’espace, se déploie sur différentes fréquences, résonne comme le cristal et rugit comme le torrent. Le babillage des grains et des flammèches n’est pas absent, il finit de concrétiser la scène qui déjà est théâtre expressionniste. La main de maître, de l’artisan Toy Bizarre sculpte ce dialogue des éléments, qui s’allongent et se croisent, accordent leurs tempéraments, décroissent et croissent comme le jour et la nuit rythmant la représentation de qui pourrait bien être pour C. Peyronnet un lieu musical idéal.
D.B.
2008-03-15