The Cure – Songs Of A Lost World

Polydor https://shopfr.songsofalost.world/   « …le monde arrêté figé s’effritant se dépiautant s’écroulant peu à peu par morceaux comme une bâtisse abandonnée, inutilisable, livrée à l’incohérent, nonchalant, impersonnel et destructeur travail du temps. » Claude Simon, La Route des Flandres   Disintegration paraissait destiné à rester le dernier chef d’œuvre de The Cure, même si nous n’avions sans doute pas pris la mesure de son importance en 1989 – nous avions vingt ans –, et il a fallu périodiquement jeter un regard rétrospectif pour apprécier son caractère monumental. Comme Eric Draven, le héros de The Crow (The Cure a signé avec Burn l’un de ses meilleurs morceaux des années 1990), Robert Smith semble tirer sa force de son affliction. Le spleen, le chagrin, la mélancolie, que sais-je encore, tout cela serait-il le meilleur moteur de l’énergie créatrice de Robert Smith ? C’est un cliché, gravé dans le marbre depuis le premier romantisme, mais les albums piliers Seventeen Seconds / […]

Melaine Dalibert – Eden, Fall

Mind Travels – Ici d’Ailleurs https://mindtravels.bandcamp.com/album/eden-fall Hélène Cixous définit la répétition comme « du rappel qui se déplace ». Cette ambigüité, digne d’un koan zen, ne pourrait mieux marquer ce qui fait le cœur d’un art reposant sur les variations, accidentelles ou méditées, de l’infime. Le travail du pianiste Melaine Dalibert, qui évolue dans les formes d’un répertoire minimaliste, répond ici parfaitement à cette définition. Il a choisi de construire les trois titres de l’album Eden, Fall à partir de suites mathématiques, dans une démarche de composition algorithmique, c’est-à-dire d’imbrication dans un schéma prédéterminé. Connaître cette démarche a priori permettra d’apprécier dans toute sa valeur la répétition de la phrase musicale de sept notes qui forme l’ossature de la première pièce, Eden. Longue de pratiquement trente-huit minutes, elle joue sa structure avec elle-même, sur elle-même. Reprenons : le rappel qui se déplace. C’est ce déplacement qui garantit, à la différence d’une frise dont on peut considérer toute la […]

William Basinski – Lamentations

Temporary Residence www.temporaryresidence.com   Les albums de William Basinski sont souvent créés sous le sceau de la nostalgie. Sa sœur mélancolie n’est jamais bien loin et l’un des plus beaux albums de Basinski, sorti en 2003, était précisément intitulé Melancholia. Il est impossible de ne pas rappeler la pierre d’angle que représente la série des Disintegration Loops, déjà abondamment commentée, dans laquelle il établit par la forme de boucles d’une beauté bouleversante, le lien entre l’effacement de ses bandes magnétiques et l’effondrement des tours jumelles. Notre époque n’est pas riante. Chacun peut et doit sans doute, seul et avec ses proches, maintenir des poches de joie, mais pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, celle-ci se trouve confrontée à une unique menace épidémique, qui n’a pas écarté, loin s’en faut, les autres, économiques, financières, écologiques, sociales. Il est possible de plonger un regard rétrospectif, et beaucoup le font en ces temps troublés, pour trouver […]

William Basinski – On Time Out of Time

Temporary Residence www.temporaryresidence.com   Le problème du temps est un paramètre important pour saisir l’œuvre de William Basinski. Pour l’essentiel il en joue comme s’il n’existait pas. Il crée des blocs de pure mélancolie, excellant dans l’artifice de la l’immobilité : Basinski est le magicien de la boucle. Aussi bien, c’est le problème de toute musique, art du déroulement plus que tout autre. Comme le cinéma peut leurrer avec le plan fixe, le musicien peut avec le drone et la boucle laisser croire à la suspension du temps, autant dire l’accès à l’éternité. On ne s’étonnera pas que le musicien américain ait été sollicité pour interpréter en musique les ondes produites par la fusion de deux trous noirs, telle qu’elle s’est produite il y a plusieurs centaines de millions d’années et qu’elle a été captée par le laboratoire LIGO. Le son ne se propage pas dans l’espace, les ondes gravitationnelles oui. Basinski les a déroulées, en […]

Simon Whetham – What Matters is that It Matters

Baskaru www.baskaru.com   Qu’il infiltre une rivière du Limousin enregistrée par Cédric Peyronnet / Toy Bizarre, qu’il métabolise les field recordings de Slavek Kwi / Artificial Memory Trace, ou qu’il compose seul, Simon Whetham tend ses filets à la juste frontière séparant le réel de l’imaginaire. Mais si le plus souvent ce changement de dimension s’opère depuis un lieu géographique défini jusqu’à son interprétation au pinceau musical, cet album, le premier pour le label Baskaru, est autonome, empreint certainement de mille traces de lieux, mais exempt de toute signalisation. Tel qui rapporte de ses voyages un sac de menus souvenirs, qu’il aura négligé de cloisonner, ou mieux : qu’il aura pris soin de mélanger, pariant sur l’ordonnance naturelle que le coup du sort aura prodiguée au désordre, pourra s’enorgueillir d’avoir créé en propre l’image d’un nouveau territoire. De toute évidence, rien ne vaut une vague, un mouvement de mer dont la laisse se laissera arpenter après son retrait, […]

The [Law-Rah] Collective & Cinema Perdu – Invocation

Raubbau www.raubbau.org   Toute musique de frontière lève un puissant pouvoir d’évocation. Et dans le tableau, le paysage sonore s’enrichit, issu d’un même mouvement, d’un double, imaginaire, totalement recréé. Pouvoir intime, ce privilège des musiques bourdonnantes est occasionnellement partageable lorsque l’évocation est suggérée par les mouvements et les textures ou même, de manière plus partiale, par le titre de l’œuvre. L’évocation de l’image relève ainsi le plus souvent d’une nature paysagère et géologique. Pour le reste, il convient d’être prudent. C’est pourquoi, considérant la difficulté du thème que les musiciens se sont imposé ici, il faudra s’attacher au titre choisi d’ « Invocation ». Car ce qu’on y entend dispose incontestablement à la mélancolie, à l’épanchement romantique et solitaire, qui accusera, selon l’auditeur telle tendance introspective et nostalgique ou telle autre. Précisons donc : pour l’Invocation, ce ne sont pas des esprits qu’ils veulent solliciter, mais des souvenirs d’amis disparus. Bauke van der Wal et Martijn Pieck ont l’habitude […]