Joana de Sá – Lightwaves

Sirr https://sirr-ecords.bandcamp.com Loin de négliger l’abstraction, y compris celle que nos environnements sonores quotidiens offrent parfois, les pages de Fear Drop s’émeuvent particulièrement lorsqu’il est question de saisir le moment de passage, la zone de transformation, d’intégration, d’apparition de motifs figuratifs, rythme et proto-mélodie s’extrayant de la gaine texturale. À cet égard, l’album de la Portugaise Joana de Sá est exemplaire. La musique de Lightwaves naît dans le brouhaha, un conglomérat sonore de field recordings en mouvement. Ce départ organique n’a pourtant rien d’un berceau musical. Comme l’œil s’habitue peu à peu aux ténèbres pour discerner les formes, l’oreille ici distingue d’abord au cœur d’une masse liquide des répétitions, des motifs, qui progressivement montent à la lumière pour opérer leur complète transmutation. Des crépitements, des clarines, offrent le passage, alors s’épand la vague lumineuse, à peine oscillante, et comme chez Steve Roden, l’informe prend corps, épouse les contours d’un réceptacle que l’on devine circulaire. Le […]

Michael Lightborne – Ring Road Ring (LP)

Gruenrekorder www.gruenrekorder.de   Michael Lightborne, artiste britannique, s’intéresse particulièrement aux sons des environnements, comme le montrent ses deux albums, tous deux publiés par le label allemand Gruenrekorder. Le premier, Sounds of the Projection Box, était construit naturellement autour de sons d’un appareil de projection, et celui-ci, Ring Road Ring, résulte d’un travail de récupération et de réinterprétation de sons du périphérique de Coventry, près de Birmingham. Un périphérique qui avait été conçu comme projet de délestage de la ville au profit de la circulation pédestre, et qui connaît aujourd’hui le sort de tous ces dispositifs, concentration de véhicules et dégradation de l’environnement. Michael Lightborne a capté différents sons aux pieds des piliers du périphérique, cette « ring road », les assemblant de manière presque brute sur la toute première pièce de la première face, pour ensuite utiliser les mêmes sources comme matériau d’un jeu plus poétique. Lightborne affirme avoir ressenti beaucoup de mélancolie dans la collecte […]

Enrico Coniglio – Teredo Navalis

Gruenrekorder https://www.gruenrekorder.de/ Enrico Coniglio a, autant que l’amour de la musique, celui de la lagune de Venise, sa ville. Il voit combien elle est menacée, fragile, et il est arrivé plusieurs fois qu’il intègre des field recordings de cette lagune à son instrumentarium. Mais c’est exclusivement avec eux qu’il a composé les cinq pièces de Teredo Navalis, car selon lui, ils constituent une véritable méthode de connaissance du territoire exploré. Le parti pris est de se concentrer, bien plus que sur les mouvements de l’eau, sur les sons des formes de vie que la lagune héberge ainsi que sur ceux que la surface envoie. L’eau est donc considérée comme un véhicule, et les clapotis sont presque absents des compositions de ce court album. Il est peu aisé de composer à partir de la fouille, du mouvement des crabes, du sillage des bateaux ou du cri des mouettes. Et pourtant, assez vite, après une phase que […]

Thomas Tilly – a semiotic survey

Ferns https://fernsrecordings.bandcamp.com/  Depuis ses débuts sous le nom de Tô, Thomas Tilly n’a cessé d’augmenter toujours plus le grossissement de sa loupe auditive. Penché sur les environnements, il n’offre pas leur panorama mais un voyage infra dans leurs grains et leurs courants. Pour s’en convaincre, il suffit par exemple de réécouter Test/Tone Documents, traduction sonore du bâtiment la Cartonnerie de Reims (sorti sur Drone Sweet Drone en 2016) ou la très ascétique infiltration forestière Script Geometry, publiée par Aposiopèse en 2014 (http://www.feardrop.net/?p=5). Aussi bien, c’est une position revendiquée par Thomas Tilly quand, en commentaire de ce a semiotic survey, il parle d’une « inversion perceptible des proportions entre les êtres vivants humains et ceux non humains » et de « l’audibilité de cette inversion » ; et c’est tout naturellement qu’il dirige ses micros vers les stridulations des fourmis ou d’autres portions modestes du paysage sonore d’une forêt tropicale. On pense évidemment, dans l’intention, à Jana Winderen ou plus encore […]

Gregory Büttner – Voll.Halb.Langsam.Halt

Gruenrekorder www.gruenrekorder.de  Compositeur expérimental vivant à Hamburg, Gregory Büttner est aussi field recorder. En 2010, il a pu séjourner à bord d’un vieux brise-glace à vapeur lors d’une traversée de la Mer Baltique. Il y a placé des micros-contact et cet album en rapporte les sons remarquables. Il s’agit évidemment d’un geste réfléchi, porté à un environnement riche en particularités sonores. Ce n’est en aucun cas une phonographie aléatoire dans laquelle il faudrait, au petit bonheur, espérer trouver à la battée, une ou deux pépites sans aucune certitude sur leur carat. Gregory Büttner a délibérément élu ce vieux bateau à vapeur pour son potentiel sonore. Le musicien précise qu’il a laissé ses enregistrements intacts, sans autre manipulation que les transitions. Le plus gros de la pièce unique est constitué de séquences rythmiques. On pénètre alors dans le mouvement complexe bien que mesuré d’une machinerie qui relève à la fois du transport, du moteur, de l’outil. […]

Thomas Tilly – Script Geometry

Aposiopese www.aposiopese.com Il est fréquent, et même inévitable, que les créations humaines, et jusqu’à leurs plus complexes organisations, soient comparées à ce que l’on trouve de plus analogue dans la nature par similitude scientifique ou par métaphore poétique ; on dira d’une entreprise qu’elle est une fourmilière, d’une maison qu’elle est un antre. Mais le retour de cette expérience est bien plus rare. C’est ce qu’a souhaité faire Thomas Tilly (Tô) dans ce travail spécifique autour de la forêt. Un tel ensemble naturel, ou considéré comme tel, aussi transformé par la gestion de l’homme qu’il soit devenu, représente aux yeux de tous une matrice, cet entrelacs mystérieux d’où est sorti l’ancêtre préhistorique et où retourne le « rebelle » lorsqu’il a « recours aux forêts ». Thomas Tilly, à rebours de cette conception romantique de la forêt, met en œuvre le retour d’analogie suivant : « Envisager la forêt comme une ville, une construction, un […]