Gruenrekorder / Skálar
www.gruenrekorder.de
http://skalar.is
Il est rare que, même dans sa série Sound Art, la plus « musicale », le label allemand Gruenrekorder n’invite pas d’artistes mettant en œuvre divers field recordings, mêlés à d’autres sons venant d’instruments. Le LP vinyle Komplex, par le duo Konrad Korabiewski & Roger Döring, déroge presque à cette règle, en utilisant principalement le saxophone baryton et la clarinette. On ne peut toutefois imaginer que sur ce label dédié aux sons captés, il ne figure rien d’environnemental. C’est la dernière composante, qui prend naissance avec un dictaphone. Döring joue, improvise, Korabiewski traite en live, et le tout est recouvert, cuisiné, levé grâce au ferment environnemental capté dans différents lieux, lesquels peuvent relever de l’intime (appartements) ou avoir été choisis pour leur qualité de résonance (une usine abandonnée).
Les phrases des instruments à vent défient le temps et son déroulement, elles s’annoncent parfois en notes isolées, ou le plus souvent en séquence mélancolique et sombre, toujours rehaussées dans leur mystère par le traitement que nous avons évoqué, puis oxydées par les témoignages du dictaphone. Les crépitements ponctuent ainsi, ou veinent sobrement, un fredonnement plongeant dans la gravité. Une musique ambiante, véritablement ambiante et habitée s’illustre alors en réminiscence d’un expressionnisme primitif, dans quoi les formes les plus simples exacerbent le rythme intime pour refaçonner la respiration et la cadence cardiaque sur le modèle du chantonnement crépusculaire. Alors, hantés par le miroitement du cuivre et le vrombissement infra, les souffles maîtrisés de l’instrument, dans leur circulaire obscurité romantique finissent par rappeler la grâce d’une œuvre aussi essentielle que The Radio de Steve Roden.
Denis Boyer
2015-06-10