Aidan Baker – Pithovirii

Glacial Movements

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Ceci n’a rien d’une musique à programme. Un thème est établi, celui de la menace virale, dont la réalité a saisi le monde. Pas la menace du sars-covid, tant se sont épanchés sur lui ; Aidan Baker s’est intéressé à des virus très anciens, les pithovirus que des scientifiques ont découvert dans le permafrost sibérien. Ces virus ne s’attaquaient qu’aux amibes, mais le réchauffement climatique pourrait mettre au jour d’autres souches, celles-ci dangereuses pour l’homme…

Voilà pour le thème, pour la glace aussi, dont la mobilisation est obligée avec chaque disque hébergé par le label Glacial Movements. Redisons, ce n’est pas une musique à programme, mais la menace qui a plané sur l’esprit de l’artiste lui a donné une tonalité, une teinte.

C’est donc une musique d’inquiétude, qui n’en dévoile pas l’objet. Nous le connaissons, il pourrait en être autrement et la musique produirait sans doute un effet similaire.

Aidan Baker, formé à la flûte, est pourtant bien plus connu pour son travail sur les cordes. Ici, tous les sons ont été produits depuis la guitare et la basse. Un travail que l’on peut comparer à de l’orfèvrerie, qui met en évidence l’expérience et la délicatesse dont l’artiste canadien est coutumier. La résonance bien sûr – jusque dans les caves, dans les caches – , mais aussi le grondement, les étoiles comme des phosphènes, les vaporisations, tous naissent du métier à cordes et des effets maîtrisés. Seulement cette forme ne suffit pas à faire de ce disque l’un des plus profonds et des plus émouvants de cette année. Pourtant il l’est. Car en matière de composition, Aidan Baker parvient aussi à figurer, puisqu’on le suit, un voyage moléculaire dans la glace, et par son clair-obscur, la potentialité du danger viral qu’elle héberge.

Ainsi mené lentement, presque insensiblement, plutôt que lancé, on assiste au déploiement vaporeux et dense dans le même temps (la peinture comme la musique permettent l’oxymore) des cordes bleutées, à l’allongement de leurs effets, à l’enfouissement de leurs harmoniques dont l’écho revient en fredonnement mélancolique – celui-ci ne quittera jamais le déroulement des deux longs morceaux. J’ai dit bleu, d’un bleu nuit, éclairé d’une lumière que l’intériorité peut projeter. Infinite guitar peut-être, délicatesse des allongements jusqu’à la respiration. Le souffle se cristallise bientôt, et pour cela quelques virgules métalliques viennent biffer la trame bleu cobalt pour figurer la condensation. Vient alors le souvenir d’un archétype, le très minimaliste et extatique morceau Flow de Final, car la comparaison peut naître en ces moments de symétrie vibrante entre le dense et l’évanescent.

Non, ce n’est décidément pas un programme, mais indubitablement une évocation, la palette et son écoulement la font picturale, émouvante et organique. Une œuvre de maître, au même titre que Le Moine au bord de la mer de C.D. Friedrich, car l’homme y est seul, bientôt absorbé peut-être, mais encore souverain de son émotion aux abords de l’immensité abstraite.

Denis Boyer