Glacial Movements
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la musique inspirée par l’imaginaire des glaces n’est que rarement le reflet de l’entropie, rarement plane et arrêtée. Elle semble même parfois, traduisant les plus hautes valeurs de l’albédo, déployer ses nuances en raison inverse du degré d’engourdissement que suggèrent les températures extrêmement basses. Le label Glacial Movements, depuis de nombreuses années, se veut le témoin de cette richesse d’interprétation, de ce potentiel romantique ou impressionniste.
Massimo Pupillo est un artiste italien qui a travaillé et collaboré dans de multiples domaines toujours à l’avant-garde musicale et chorégraphique… la liste est longue, citons Meg Stuart, Thurston Moore, F.M. Einheit, Damo Suzuki, Alvin Curran, les sœurs Labèque, David Tibet… Multi-instrumentiste, il connaît les effets et le potentiel d’harmonie auquel chaque instrument peut atteindre. Son album Our Forgotten Ancestors se range sans surprise dans le large panorama ambiant qu’explore le label, mais de façon certainement beaucoup plus figurative que beaucoup d’autres de ses références. Ici prend donc forme une musique très cinématographique, possédant le pouvoir de hâter le souffle par sa propre évocation, sans image pour support ; elle est, comme les Australiens de Soma l’avaient défini il y a déjà longtemps, un « cinéma intérieur ». Principalement bassiste, Massimo Pupillo prend possession ici d’un éventail plus vaste. Les instruments joués ou échantillonnés sont autant ceux du souffle que ceux de la corde, ceux du tintement que ceux que la synthèse électronique permet. Orchestrale en un sens, la musique suit à l’empan de l’horizon une houle tranquille, accompagnant parfois un fredonnement, comme le cétacé le navire. Souvent aussi, elle ménage ses effets de déploiement et de rétractation, et c’est ici qu’elle se fait le plus dramatique. Massimo Pupillo parle dans ses notes de “chant primordial”, je dirai de fredon. Quelque chose d’originel quoi qu’il en soit, éminemment originel. Seule la musique, antérieure, sinon dans le temps du moins dans l’expression, au langage articulé, peut rendre compte à ce point de notre connivence avec l’origine. Et si parfois une image peut lever une pareille sidération, cela confirme la puissance pictogène d’une telle musique qui, si elle vise à jeter un pont jusqu’à la silhouette de lointains ancêtres, c’est pour s’arrimer à la singularité de chacun, à la plus haute solitude que chacun peut, pouvait, pourra ressentir, non pas comme affliction, mais comme mélancolique coup d’œil souverain, comme devant l’immensité du glacier.
Denis Boyer