Joana de Sá – Lightwaves

Sirr

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Loin de négliger l’abstraction, y compris celle que nos environnements sonores quotidiens offrent parfois, les pages de Fear Drop s’émeuvent particulièrement lorsqu’il est question de saisir le moment de passage, la zone de transformation, d’intégration, d’apparition de motifs figuratifs, rythme et proto-mélodie s’extrayant de la gaine texturale.

À cet égard, l’album de la Portugaise Joana de Sá est exemplaire. La musique de Lightwaves naît dans le brouhaha, un conglomérat sonore de field recordings en mouvement. Ce départ organique n’a pourtant rien d’un berceau musical. Comme l’œil s’habitue peu à peu aux ténèbres pour discerner les formes, l’oreille ici distingue d’abord au cœur d’une masse liquide des répétitions, des motifs, qui progressivement montent à la lumière pour opérer leur complète transmutation. Des crépitements, des clarines, offrent le passage, alors s’épand la vague lumineuse, à peine oscillante, et comme chez Steve Roden, l’informe prend corps, épouse les contours d’un réceptacle que l’on devine circulaire. Le ton est donné et désormais tout va servir cette montée vers le fredonnement. Sur ce même long morceau d’introduction, éponyme de l’album, c’est le violoncelle qui se charge dans une boucle mélancolique de pérenniser le mouvement de houle.

Ce tropisme vers une ébauche de figuration, Joana de Sá le maîtrise, et elle renégocie sur chaque morceau le tracé vers le formel. Chaque fois, le bain primordial, le liquide qui sert de matrices aux premiers instants de la pièce, se purge, se filtre, laisse peu à peu paraître les motifs qui vont s’assembler, tantôt en nappe (la fragile délicatesse du nimbe bourdonnant dans le morceau Sobre o rio e as pontes), tantôt de manière plus géométrique, pour former des boucles (la bielle rutilante sur le même morceau), des phrases, des épiphanies.

C’est pourquoi la quatrième pièce peut surprendre et dans un premier temps décevoir, car le surgissement tarde et quand un drone paraît il est granuleux, presque strident et sans vertu organique mais, se corrodant en bordure, il finit par s’offrir à l’ondulation, s’effacer pour ouvrir le chant à l’allongement de cordes bien plus souples, charriant des échos de voix, offrant encore et toujours un passage vers l’ébauche d’une figuration, mais pas n’importe laquelle, le fuseau lumineux de l’émouvante musique ambiante minimaliste.

Techniquement dans cet album, il s’agit pour Joana de Sá d’installer, peu à peu depuis le field recording un traitement d’harmoniques, des manipulations faisant naître la musicalité grâce aux insertions de guitare et de synthétiseurs. Poétiquement, elle s’acquitte d’un grand travail de joaillerie, de taille et de mise en valeur de chacune des facettes, du fredonnement au tremblement lumineux, à la vague lumineuse.

Denis Boyer