Midira
https://www.midirarecords.com/release/md-082-galati-oneiric/
Quand d’autres font tourner crânement un seul motif dont les saturations s’échafaudent en stratifications géologiques, Roberto Galati ajoute à cela des phrases pré-mélodiques, des respirations lumineuses, des fredonnements solitaires et, de la même manière que Troum ou Aidan Baker, il ne craint pas de peupler sa toile.
Son travail lent et précieux affirme une maîtrise des effets de cordes, au service d’une manière de tension entre le fixe et le mouvant. C’est pourquoi l’image du glacier est si présente dans ses albums, et ce depuis le début. L’océan de glace, figé et monumental, se corrompt par endroit et finit son entrée dans le relatif par son reflet dans l’œil du contemplateur. Roberto Galati est celui-ci, qui s’abîme dans la fixité, s’y absorbe et traduit ses miroitements. Qu’il ait appelé son nouvel album Oneiric témoigne sans doute du pas de côté qu’opère nécessairement l’esprit d’êtres discontinus face à un tel témoignage d’éternité – et l’on sait désormais combien cet éternel n’est que de façade, quand il est assailli par le bouleversement climatique. L’onirisme est la fiction intérieure, la plus enfouie, l’autoréflexion. Galati devant le glacier éprouve l’illusion du temps et sa musique s’en fait l’écho. C’est parce qu’il n’est pas éternel que l’artiste rêve d’éternité, c’est parce qu’il a le sang chaud qu’il rêve du cœur froid. C’est parce que, malgré toute son empathie devant l’incommensurable de glace, son propre cœur bat encore.
Rarement jusqu’à maintenant sa musique s’était faite si ouvertement lumineuse, ou plutôt éblouie. Elle tremble, frémit dans les phrases les plus aiguës et, partant, les plus étincelantes de son œuvre sur le morceau White Mantle, fredonnant presque l’image du flot et du jusant face à cette mer arrêtée ; ou encore au cœur du long morceau suivant, Motionless Ocean, lorsque ce qui semble un glockenspiel fait pleuvoir avec une infinie délicatesse les premiers effondrements bleutés des larmes de glace transformées en liquide, encore et toujours en un fredon primordial. En réponse les cordes adoptent ainsi une fréquence profondément émue, alors qu’ailleurs elles embrassent un horizon plus vaste, vibrant encore en boucles mouvantes d’un souffle pesant sur l’ampleur des cymbales et le drone bleuté, voyageant en sinuant sur les dessins compliqués des séracs, et semblant chercher la réverbération des galaxies lointaines. Car cette musique naturellement polaire adopte aussi quelques tournures cosmiques, dans les allongements, dans les effets presque pulsatiles. Alors le musicien semble avoir trouvé la place cardinale, à l’exacte position médiane dans le faisceau onirique reliant la nébuleuse au glacier.
Denis Boyer