Tomasz Sroczynski – Symphony n°2 / Highlander

Mind Travels / Ici d’Ailleurs

https://icidailleurs.fr/

 

Le compositeur polonais Tomasz Sroczynski, dont c’est ici le troisième album, est aussi violoniste, et quoique de formation classique, il nourrit sa musique d’un bagage moderniste multiple. Le morceau Moderato Pastorale ouvrant la Symphony n°2 (en trois mouvements) peut servir de guide pour saisir une richesse qui ne s’illustre pas par la multiplication des instruments, mais par l’application des influences les unes sur les autres. Car le violon, qui connaît plusieurs pistes, rend compte dans le même temps d’une résonance folk slave et de la leçon des orfèvres de la répétitivité, comme Steve Reich ou Philip Glass. De la sorte, Moderato Pastorale déroule une mélancolie sur une circularité contrariée – une bielle – mais baignée de soleil. S’il est permis d’opérer un autre rapprochement, ce sera avec l’entrain baroque de Michael Nyman.

Ce tableau pastoral, mais d’un pastoralisme presque caravagesque, se trouve vite balancé par la puissance mélancolique de la deuxième composition de l’album, Adagio, qui figure peut-être ce fond de nuit duquel Caravage extrayait sa lumière. Autour des formes donc, évolue un autre travail sur les cordes, éloigné du tourbillon circassien de Moderato Pastorale, et proche, considérablement proche, du premier mouvement de la Symphonie n°3 de Henrik Górecki, c’est-à-dire respirant une lumière d’affliction pour la transformer en ténèbres d’émotion contenue, cordes devenant vagues d’une mélodie crépusculaire s’éployant lentement et pudiquement.

Curieusement, le troisième morceau Diablak semble, telle cette frontière intraçable où la silhouette s’extrait du noir, d’abord amalgamer les deux sentiments, car il s’introduit comme profondément mélancolique, avant de réintègrer les éléments solaires d’une musique slave et la circularité d’un Philip Glass. Petite épopée, c’est la sortie de la forêt, sautant sur des cordes presque tendues à rompre, vibrant d’offrir la rosée au jour. Cahotant sur les ornières des chemins, ces cordes prennent alors un tour oriental, dans une dimension romantique induite il est vrai par le relief et l’immensité évoqués – Diablak est le plus haut sommet des montagnes Babiej en Pologne – mais aussi par l’évocation folklorique de son instrumentation. La séquence centrale de pincement de corde s’y répète sans faillir, les autres glissements la contournent avec un sens de l’assiette doucement chavirée, de l’apparition, du prolongement, qui prononcent une connivence avec le paysage et ses profondeurs sans âge, des plus assombries aux plus claires.

Tomasz Sroczynski réalise une musique de chambre avec fenêtre ouverte, jusqu’à l’échappée des instruments vers le soleil, du levant au couchant, au-dessus des odeurs, des feuilles et des graviers. Peu importe alors si les degrés de composition appartiennent au patrimoine ou à la modernité car assurément ils s’y côtoient. Bien plus remarquable est cette justesse des courants musicaux qui du saut à bourdon, comme le torrent passe du goulot au plat, assurent un écoulement vivant – en témoigne encore celui qui pétille de lumière, jusqu’au crépuscule, dans la texture d’harmoniques de Highlander, morceau ajouté à la Symphonie et concluant l’album.

 Denis Boyer