Klanggalerie
Omnempathy
Michael Begg est certainement le plus sociable des musiciens isolationnistes actuels. Sa prédilection pour le crépuscule, son romantisme nocturne, n’excluent pas, favorisent même, le partage et la coopération. Les invités et collaborateurs sont fréquents sur ses albums, de Chris Connelly à Ben Ponton, de Nicole Boitos à Colin Potter, sans compter sa participation très active à Fovea Hex. Michael Begg a aussi monté son propre orchestre nocturne, Black Glass Ensemble.
Cette possibilité de l’échange, de l’hybridation dans une musique ambiante si sensible manifeste assurément un penchant naturel, mais aussi l’amour de la nuance. Dans le brun, dans le gris, dans le noir, il existe des palettes aux étapes innombrables ; les époques successives de la musique nocturne en témoignent déjà, du baroque primitif à la musique électronique en passant par le romantisme, toutes tendances parfois explorées par Michael Begg. Parmi ses inspirateurs, il en est un qui occupe une place privilégiée, Brian Eno, qui inventa une nouvelle musique ambiante en synthétisant avec son supplément d’âme les expériences de pionniers anglais, allemands et américains du début des années 70.
Aujourd’hui Michael Begg collabore avec l’un de ces pionniers, Hans-Joachim Roedelius, qui formait en compagnie de Dieter Moebius le duo Cluster, avec qui Eno réalisa deux albums (et co-composa son morceau emblématique By This River).
Introduction de Two Gather In the Waiting Room l’album de Begg et Roedelius, le long morceau All Things In Place marque d’abord la prédominance de Roedelius, avec des sons synthétiques alliés à ceux du piano, des résonances de nappe et des sons périphériques permettant le flottement. Il n’est pas possible ici de parler de mélodie, pourtant les portes de la figuration sont proches. Voilà un point commun entre les deux artistes, le « moment liminal », l’approche, la définition de la bordure formant le centre de l’œuvre de Begg. Alors, à bien écouter, car c’est une musique ambiante qui capte l’oreille, on comprend que les fameuses périphéries, les fantômes bourdonnants, comme autant de respirations célestes, sont les effluves crépusculaires de Michael Begg. Brouillard d’abord, cette peinture s’épaissit et forme, dans les morceaux suivants, l’ocre et le brun d’un ciel le cédant à la nuit. S’ajoute, comme dans les plus chatoyants albums de Paul Schütze, un instrumentarium subtil, tant synthétique qu’acoustique qui, rappelant encore les bornes posées par Cluster et Eno, n’en reste pas moins vivant et contemporain. La présence des cordes et la douce chaleur nostalgique d’une trompette, œuvres de membres du Black Glass Ensemble de Begg, finissent de mener la respiration à son point de chaloupe, car c’est un album qui laisse à flotter, entre jour et nuit, terre et air, en attente.
Le Black Glass Ensemble de Michael Begg, après plusieurs mois de travail, a donné un concert à Édimbourg en février 2020 (D’autres étaient prévus mais l’épidémie les a empêchés), dont l’album Arise From the Twilight rend compte. « Surgir du crépuscule », voilà bien, en oiseau de nuit, ce que cette musique accomplit. Cordes, vents, percussions, mais aussi claviers, électronique, sons concrets, voix et conversions de flots de données satellites (http://denisboyer-feardrop.blogspot.com/2020/09/witness-michael-begg-veilleur-de-nuit.html), voilà qui laisserait attendre une expression maximaliste, mais le mot d’ordre crépusculaire n’est pas vain.
Il existe des fleurs qui s’ouvrent le soir venu, silène penché, tabac ailé, belle de nuit… des noms à faire rêver. De la même manière chaque instrument, chaque pièce du fin tissu sonore, s’éploie délicatement comme le commande le peu de lumière. Les cordes glissent, font lentement respirer les harmoniques, laissent traîner l’auditeur comme certainement le spectateur de février en une demi-apesanteur romantique, que la trompette et les percussions viennent compenser dans leurs phrases plus contemporaines. Les filins sont harmonieux quoique minces, et entre leurs courants s’insinue le drap de la nuit, la « magie sonore » de Michael Begg traitant en direct, instillant ses captations de sons satellites, ponctuant le ciel nocturne d’éclats lumineux, le sol de reflets sur les cailloux du chemin, ou drapant la lune d’un nimbe gris. Il faut roidir l’oreille et, pour ceux qui sont habitués à se trouver aux portes de la figuration dans la musique de Michael Begg, accepter un léger pas en arrière, ajuster la vue à plus de nuit encore, ou peut-être à moins de formes, mais à plus de respirations pour finalement retrouver l’épiphanie des harmoniques de lumière noire.
J’ai déjà écrit que le paysage musical de Michael Begg, quelque changement qu’il connaisse, se reflète par le tain de la même vitre passée à la suie. C’est toujours la même vitre, assurément, « l’orchestre du verre noir », et il est remarquable que l’on s’élève et vibre au même timbre sur des albums finalement si distincts que Two Gather in the Waiting Room et Arise From the Twilight.
Denis Boyer