Jack Patterson – Milk Thistle

Ferns Recordings

https://fernsrecordings.bandcamp.com/

Jack Patterson, artiste américain que nous fait découvrir le label Ferns, a composé cet album en assumant l’influence de sa lecture des Stoïques et de Tchouang-Tseu. Se détacher des passions, construire un rapport au monde dans l’accord avec une sagesse universelle, laisser courir le naturel des choses, voici un idéal que les antiquités grecques et chinoises nous ont légué. Chemin autant que but sans doute, cette pensée peut conduire aux apories du désintéressement complet, impossible à atteindre (Virata, de S. Zweig) ou à assumer comme être vivant (Un homme qui dort, de G. Perec). Plus en résonance avec un principe d’harmonie universelle, Jack Patterson a tenté de traduire, en composition sonore, ce rapport au monde sans emphase, bifurquant du romantisme (« I am the monarch of all I survey… »). Pour autant, son travail est loin d’être une fenêtre transparente ou un reportage brut, c’est au contraire un très dense et patient échange sans impérialisme.

Un bouillonnant assemblage d’harmoniques, semé de crépitements, de bruits épars comme autant de pas ou de tensions boisées, voilà le fond, la toile sur quoi se peignent les deux morceaux de ce mini album. Jack Patterson, à la manière de Steve Roden, va tourner et retourner les couches sonores afin de leur attribuer une vertu texturale proche de la peinture abstraite primitiviste. Nulle naissance mélodique toutefois, mais un fourmillement d’éclairages poétiques comme autant d’écailles sur les ailes d’un papillon, de nervures sur la feuille de l’arbre renouvelé par le printemps, de ponctuations sur le galet de granit. Les harmoniques vibrent lorsque s’amenuise peu à peu le froufroutement de mille drones minéralisés, et, comme le musicien se l’était promis, le dehors et le dedans ont sans cesse écrit l’un sur l’autre ; il a autant donné à l’extérieur que le milieu a été prodigue avec lui. Un échange, un aller-retour entre le concret et le synthétique, les couleurs et les yeux, les sons et les oreilles, les couches sonores et la table de mixage. Peu importe désormais, pour l’auditeur, de savoir si l’équilibre des forces a été respecté – car il semble, bien sûr, qu’il y ait eu attachement –, il reste une lumineuse expérience de poésie concrète, d’art sonore au plus près des courants naturels.

 Denis Boyer