Clément Édouard – Dix Ailes

three:four records / Coax Records

https://wearethreefour.bandcamp.com/

www.collectifcoax.com

Souvent, des dispositifs acoustiques, des artifices informatiques, des manipulations analogiques, ont permis de troubler l’écoute au point de faire perdre l’origine du son. Quelle est sa source ? Insensiblement, c’est une question qui a pu apparaître – pour qui se la pose, ou a pensé à se la poser – je pense, d’une part avec la musique concrète, ensuite avec la musique minimaliste, puis avec la musique électronique coïncidant avec les premières expériences profondes effectuées sur les cordes de guitare. À cela deux raisons principales sans doute : d’abord porter le registre des objets sonores, potentiellement musicaux, vers une quasi-infinité, ensuite faire quitter ses a priori à l’auditeur. De Pierre Schaefer à Francisco López, de Terry Riley à Richard Chartier, de Nurse With Wound à Brume ou Lionel Marchetti, d’Éliane Radigue à William Basinski, peut-on encore les compter, ceux qui nous ont déroutés sur leur océan de sons ?

Mais il existe de manière heureuse une troisième voie, et c’est celle qu’affirme le compositeur Clément Édouard dans son quatuor : mettre à profit la confusion pour porter l’écoute vers le paysage poétique. Il fait bon parfois perdre de vue la forme première du son pour se fondre dans son halo, ignorer l’odeur du pigment pour jouir simplement de sa touche sur la toile. L’album Dix Ailes assume le centre vocal comme le tableau sa couleur. Autour de cela, autour d’un chœur féminin à deux voix dont la texture peut virer du cristal à la brume, un ciel de notes se suspend ou s’évide. On reconnaît bien sûr les notes de piano, comme les chants d’oiseaux, mais ils dépassent de loin, de même que les voix, leur attache primordiale comme leur simple statut d’objet sonore, pour obéir au sens de la trame.

Manière de musique environnementale aux frontières de la musique ambiante, se nourrissant tout de même d’échos avant-gardistes (la « micro-polyphonie » de Ligeti, la dissymétrie de Morton Feldman) aussi bien que de la timide danse insectoïde d’Artificial Memory Trace, cette œuvre dessine un monde aux frontières du jardin, où ce sont les plus discrètes dimensions qui forment l’harmonie, la respiration des voix comme un reste de brouillard, les touches comme des perles de rosée, la harpe basse comme le bourdon du sol, et l’insaisissable tissage électronique de Clément Édouard comme la porte du rêve. Aussi modeste que le songe qui se laisse rarement happer par le souvenir, Dix Ailes s’épanouit dans le rai de lumière que cette porte laisse sourdre depuis le jardin.

Denis Boyer