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De ce qu’on a appelé vaguement et fort commodément post-rock, il reste aujourd’hui assez de courants pour alimenter des pages entières d’un dictionnaire des styles. Oublions cela et plongeons dans les particularismes. Du post-rock bien sûr, Gilles Deles alias Lunt a gardé le goût des harmoniques superposés, le tournoiement des cordes et la boucle enroulée autour des cymbales, le mécanisme claudicant pouvant, à force d’échauffement se muer progressivement en cavalcade. Le morceau Dasein Bullshit évoque facilement Bästard, une voix se gonflant comme une voile sous l’effet d’une brise, une guitare s’égrenant au mouvement de la bielle, une marche irrégulière comme l’a dessinée Lee Ranaldo dans ses compositions personnelles au sein de Sonic Youth. Mais là s’arrête le tourbillon. On n’accédera pas aux pistes héroïques sur l’album Phantom Solids, mais plutôt on abordera aux sentiers de traverse. Lunt dénude souvent, ou plutôt refuse d’habiller trop luxueusement. On est en plein alors dans l’architecture des petites dissonances, dans les tintements comme autant de coudes, dans la mélancolie qui glisse comme une pluie aux effets de rouille. C’est de cette façon aussi qu’il a colonisé les boucles profondes et les tintements dans le jeu de piano moderniste de Delphine Dora au sein de leur composition commune en trois parties, Empty Spaces, publiée sous le nom de Conatus. Une manière d’érosion qui recouvre insensiblement le paysage, un paysage qui sans elle n’aurait pas le même teint ; ici c’est le timbre – la neige sur la plaine l’hiver, les maillages expérimentaux de Gilles Deles sur les touches de Delphine Dora, frôlement de la nuit, du silence, éloge de la fragilité.
Ce qui nous rappelle à Phantom Solids, dernier album de Lunt. La voix s’y pose en bruine, c’est un fragile chantonnement, presque un fredonnement, sur une musique qui s’épanouit discrètement et commande de murmurer, en tout cas de se promener en solitaire, peut-être marqué d’une lointaine détresse. À ce stade et bien plus pour la démarche, mais parfois aussi pour ce fameux timbre, il est possible d’évoquer un fantôme, parmi d’autres, celui de Mark Hollis, sur la dernière partie de sa carrière, reflétant sa façon de travailler entre les notes, dans de longs intervalles, et de faire éclore sa voix au bord du vide.
Denis Boyer