Fovea Hex – The Salt Garden III

Headphone Dust / Die Stadt

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Dans son roman inachevé Henri d’Ofterdingen, Novalis faisait rencontrer au jeune homme un vieux mineur (en qui on a pu voir Goethe) qui lui dit son bonheur d’avoir vécu cherchant le filon brillant dans le noir : « Savoir où se trouvent les puissances métalliques et les extraire lui suffit ; mais leur éclat éblouissant ne peut rien sur son cœur pur. » De la même manière je pense, la recherche de l’éclat, sa mise au jour dans la forme la plus modeste de la révélation, voilà la récolte du jardin salin de Fovea Hex. Autour de Clodagh Simonds, se dévoile la troisième et ultime parcelle du Salt Garden conservant les équilibres des deux premières parties : cristallisation, solidification de l’éther. Aussi bien que les charges électriques du sol et du ciel s’attirent, la musique de Fovea Hex opère la liaison permanente entre la terre et le soleil. Là prend forme son pastoralisme, et le chant de Clodagh Simonds semble alors directement issu d’une lande qui pourrait elle-même figurer les quelques compositions restant sans chant. Ici, sur le morceau instrumental Trisamma, le jour et la nuit se croisent, la mélancolie du piano et du violon ne se veut pas encore totalement accablée. Elle est partagée.

Voilà pour le terrain, ses forces ouraniennes et telluriques, sur quoi vont s’opérer les patientes croissances minérales d’une musique ambiante fortement chargée de mélodie.

Comment s’étonner alors que sur ce troisième volume, le morceau d’introduction, The Land’s Alight, s’érige sur une incertitude onirique – s’agit-il d’un éblouissement ou de plus encore : d’un embrasement ? En tout cas une épiphanie lumineuse où les vers chantés par Clodagh Simonds s’achèvent dans la tonalité du faisceau synthétique, une musique qui comme ses paroles fait coïncider le regard sur le paysage et celui qui le traverse. Les vagues de clavier, les réverbérations, les tintements lointains appellent, lorsque la voix reparaît telle le soleil une fois les nuages enfuis, le nimbe qui le fait verser dans la profondeur. De la basse continue ainsi exhumée, le morceau choral peut alors s’élever. Dans le Salt Garden II, c’était Eno qui ajoutait la voix masculine (All Those Signs), ici c’est Michael Begg rejoint par un ensemble vocal sur le morceau A Million Fires, et ici encore le dehors et le dedans s’électrisent l’un l’autre, le fredonnement qui traverse les choses jaillit tellurique comme aérien de la voix et de l’harmonium. Le peu y est une fois de plus magnifié, c’est la poésie déversée par ce simple principe qui sous-tend les choses, sur la page immaculée du poète infortuné (« Glory be upon the hapless writer / Glory be upon the spotless page »). Le nom des choses comme formule magique. Celui qui traverse ce disque semble être décidément « feu » : The Land’s Alight, A Million Fires, The Given Heat, ce dernier morceau rejetant le regard sur l’impénétrable des choses, regard rubané sur les vagues de cordes et de touches, et peut-être que l’érosion sonore de Michael Begg (tel qu’il définit souvent son travail) contribue à de nouveau confondre le paysage et le spectateur, à transformer le souffle en lumière, à dégager du noir de la terre l’éclat du filon éblouissant.

Denis Boyer