Omnempathy
« Souviens-toi que tu vas mourir. » Au 17e siècle, il n’était pas rare que des hommes puissants commandent des peintures dites Vanités. Elles devaient leur rappeler la fugacité des plaisirs et des richesses terrestres, l’inéluctabilité du trépas. Aux côtés d’un assemblage hétéroclite figurait le plus souvent un crâne, emblème de la destination finale. La nuit sans rêve, l’après sans temps.
Il est peu de musiciens plus nocturnes que Michael Begg qui, lui, est bien vivant. Sa nostalgie de la nuit le pousse à s’y retrancher alors que tout et tout le monde aux environs est plongé dans le sommeil. D’autres comme lui ont laissé toute peur de cet espace / temps qui renvoie au monde des origines et anticipe la dissolution finale. Michael Begg, alors que tout le monde s’absente au fond de soi, que tout est tranquille dans le cœur noir de la nuit, met à profit l’hétéroclite de son arsenal sonore. Le poêle à bois qui crépite pour réchauffer la nuit, un verre de lampe-tempête, un piano, une boîte à musique, d’anciens ordinateurs et des plaques de métal plus anciennes encore… voilà pour l’instrumentarium. Le passage au traitement informatique, pour lisser ce modelage dans un drone de lumière assombrie, et c’est une nouvelle fois l’expédition dans le fond des respirations nocturnes. Je n’exagère rien en plaçant Michael Begg dans un très haut firmament aux côtés d’Arvo Pärt et de Coil. Ses rayonnements se mêlent aux leurs.
Ainsi l’hétéroclite des sources rencontre l’hétéroclite des exercices : drone, baroque, modern classical, tous passés au filtre très minimaliste du crépuscule qui engloutit les angles et favorise l’apparition des formes fantomatiques et oniriques : la musique de Michael Begg prend le temps des résonances, du déploiement délicat de tous les harmoniques, elle ne néglige jamais les poches d’éclosion d’un nuage mélodique – poches de résistance à l’engloutissement ou simple alentissement devant l’inéluctable. Comment mieux comprendre que l’expression de la mélancolie est une forme de cette paradoxale résistance à l’engloutissement : écoutez, il lisse le métal, il abonde le recoin éclairé par la bougie en fuseaux orange qui pourraient tout aussi bien provenir de l’accordéon que de cordes délicatement frottées. Dans la nuit, la part de l’ombre et celle de la lumière sont inversées. Dans les tableaux clair-obscur de l’époque baroque, les poches de lumière densifient la vie. Nous mourrons dans le gris profond, nous respirons encore grâce à la bougie. Ces mêmes recoins s’entendent dans Vanitas. La nuit nous happera sans aucun doute, encore aurons-nous, à son seuil, pu profiter comme jamais des ondulations synthétiques, des pianos résonants, du souffle apaisé qui pousse dans la voile blanche, du vrombissement des forces telluriques, de la patiente érosion de l’absolu silencieux en fils d’émotions bourdonnantes.
Memento Mori, soit, mais Michael Begg rappelle qu’avant cela il peut avec sa musique faire durer la crépuscule, zone liminale où il convient de dresser la table sonore, tant qu’il est encore temps d’écouter et de frémir.
Denis Boyer