Gruenrekorder
Compositeur expérimental vivant à Hamburg, Gregory Büttner est aussi field recorder. En 2010, il a pu séjourner à bord d’un vieux brise-glace à vapeur lors d’une traversée de la Mer Baltique. Il y a placé des micros-contact et cet album en rapporte les sons remarquables. Il s’agit évidemment d’un geste réfléchi, porté à un environnement riche en particularités sonores. Ce n’est en aucun cas une phonographie aléatoire dans laquelle il faudrait, au petit bonheur, espérer trouver à la battée, une ou deux pépites sans aucune certitude sur leur carat. Gregory Büttner a délibérément élu ce vieux bateau à vapeur pour son potentiel sonore. Le musicien précise qu’il a laissé ses enregistrements intacts, sans autre manipulation que les transitions. Le plus gros de la pièce unique est constitué de séquences rythmiques. On pénètre alors dans le mouvement complexe bien que mesuré d’une machinerie qui relève à la fois du transport, du moteur, de l’outil. Les oscillations métalliques, telles qu’un percussionniste minimaliste en produirait sur une peau détendue, se répercutent dans des couloirs que l’on devine profonds, jusqu’à ce que cet écho se rapproche, réponse de la paroi en tôle au frêle tapotement.
Chaque point de captage sonore, compte tenu du potentiel sonifère important du bateau, est une source distincte. Ainsi, plus loin, le mécanisme hélicoïdal l’emporte sur le balancier. L’ellipse claudicante semble appeler la vapeur à son aide, tandis qu’un métronome isolé finit par se transformer en machine à écrire. Les doigts d’acier grippés fourmillent et sans réelle surprise on entend plus loin l’averse de la limaille, corrosion avancée des organes métalliques, à moins qu’on imagine la mutation de la traversée en aventure ferroviaire, jusqu’à ce qu’un doux mouvement de baratte vienne replacer l’environnement aquatique au premier plan. Il ne faut, en effet, que peu d’effort, pour convertir tous ces filons rythmiques en évocations surréalistes. C’est la grande réussite des meilleurs enregistrements de terrain, lever le champ des analogues, attester que leur découvreur a flairé leur précieux amarrage au gisement poétique.
Denis Boyer