Il y a dans le domaine des cordes la possibilité éminemment tactile, charnelle, de cultiver la résonance et le déploiement d’harmoniques. C’est pourquoi il n’est pas rare que des artistes rock parmi les plus aventureux, les doigts happés en permanence par les six ou sept cordes de leur guitare, avancent sur d’autres chemins, divergents – mais pas toujours – de leurs riffs, de leurs accords, de leurs stridences. Je pense à Justin Broadrick, à Aidan Baker… Je m’aperçois ici que si leurs noms me sont venus les premiers c’est peut-être autant parce qu’ils confirment l’affinité profonde que j’entretiens avec leurs musiques que parce que tous deux ont été profondément marqués par Swans, dont Norman Westberg a gravé la signature des guitares plutoniennes de toute la première période, et déployé avec grande capacité les strates et les épaisseurs lumineuses de la seconde. Norman Westberg, dont le stoïcisme sur scène l’apparente aux blocs de sons eux-mêmes, qu’ils soient gris ou orange. Introverti sans doute, le guitariste révèle que l’intérieur peut parfois être plus vaste que l’enveloppe. Quand il joue seul, c’est donc pour une musique réservée, patiente, une explication d’harmoniques qui n’occulte pas le son de la corde singulière. Aussi bien, Norman Westberg, dont After Vacation est le deuxième disque pour Room 40 le label de Lawrence English, s’est limité à la guitare comme seule source et les nombreux effets, les traitements, s’appliquent à tous les étages d’une composition partagée entre le nébuleux, le souterrain et la croissance des cordes qui sont autant d’exfoliations aériennes. Avec une économie de moyens certaine mais une esthétique de production respectueuse de chaque angle du tableau sonore, il superpose et enroule plusieurs perceptions du temps, sa dissolution comme sa rétrospection (le quatrième morceau est intitulé Norman Seen As An Infant). On y entend des vagues gorgées de lumière comme sur la poche sans fin du Thursday Afternoon d’Eno, des échos d’arpège de la vague froide qui toujours nous donnera le frisson, le tremblement de la feuille dans la brise et la lumière… un printemps et un hiver réconciliés. La brume des harmoniques allongés, extraits du manche, n’occulte rien mais semble aussi féconde que les eaux plus tièdes des delays suspendus. C’est un moment paradoxal et élégiaque que saisit After Vacation, la coïncidence absolue des tempéraments de l’aube et du crépuscule.
Denis Boyer