Eisuke Yanagisawa – Path of the Wind

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Gruenrekorder

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Le label allemand Gruenrekorder a bâti sa réputation sur une sélection exigeante et originale d’enregistrements de terrain – field recordings – répartis en trois séries de CD ou de vinyles : field recordings purs, soundscapes et sound art, marquant la progression de l’implication humaine dans le produit sonore final. La première série, à vocation principalement documentaire, héberge cette fois un disque de l’artiste japonais Eisuke Yanagisawa qui aurait pu aisément se placer dans l’une des deux autres tant les qualités harmoniques qui le parcourent sont manifestes. Pourtant… pourtant, formellement il s’agit de field recordings purs, intouchés, « unprocessed » nous affirme Eisuke Yanagisawa. Il faut dire qu’il a concentré ici des pièces réalisées autour d’une unique mais riche matière sonore : le vent. Une harpe éolienne de sa propre fabrication, tendue dans divers lieux qui intitulent chaque pièce, munie de micros sensibles, et le registre d’un vent changeant, aux directions, forces et intensités variables, s’ouvre pour quelques dizaines de minutes. Les harmoniques, le drone – sans conteste – les subtiles atténuations de la luminosité créent dans la représentation musicale du vent une seconde respiration. L’amplitude, du souffle ténu à la concavité métallique impétueuse, dessine un paysage aussi changeant dans ses spires que dans les crêtes, arbres ou habitations qui les décorent (de loin en loin, des sons des différents environnements qu’Eisuke Yanagisawa a élus viennent festonner discrètement la trame vibrante et miroitante, oiseaux, ferry, amalgamés à ce fredonnement primordial comme le coup de dent contre la langue). J’ai vu et entendu bien des musiciens qui, avides d’une forme élégante aux frontières de la texture, rendent à l’aide de gongs, de cordes, de lames de bois, de laptops, l’image sonore d’une musique en éclosion en tout point pareille à celle-ci. Car il faut bien l’admettre, si le musicien des bourdons s’aventure parfois aux abords de la grille fondamentale et parvient à y demeurer artiste, maître de son geste et dompteur de la forme sonore primordiale, celle-ci, à son tour, s’en approche quand elle est prononcée de l’autre côté de la fine paroi, par les gisements de musiques premières que sont l’eau ou le vent ; alors la confusion est totale, et la conformité à s’y méprendre.

J’ai, il y a plusieurs années, consacré un numéro entier de Fear Drop à l’esthétique musicale du vent. Je n’ai pas peur d’employer pour le vent cette épithète, musicale, d’autant que j’insiste fréquemment sur la séparation entre documentaire et musique.

La musique que rapporte Eisuke Yanagisawa n’est pas encore celle de l’Aeolian String Ensemble de David Kenny qui retraita admirablement les sons de sa propre harpe éolienne dans un élan mélancolique et romantique mesuré sur deux disques, mais elle sent encore le bois et l’humus, le roc et le fer, comme une mise au jour du geste poétique que Jean Giono, dans Le Serpent d’étoiles, décrit avec la mélopée quasi tellurique de la harpe éolienne tendue au pin lyre par les bergers. Un geste comme un porte-voix : l’artiste japonais nous apprend que sa harpe a dû être modulée plusieurs fois pour « sonner », qu’ensuite il lui a fallu trouver chaque fois la bonne place, l’orientation convenable, suivre le chemin du vent. Il y a ici, incontestablement, une première intervention, qui descend plus loin que le simple cadrage. La musique du vent, soit, mais avec un traducteur amplificateur de talent : à la charnière donc, et précisément, entre l’indistinct et le geste artistique, qui déjà articule l’émotion.

 Denis Boyer

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