Midira Records
Eric Quach alias Thisquietarmy est de cette génération de musiciens qui ont donné une nouvelle vie à la guitare, repensant, comme l’ont fait en différents endroits, différentes époques Robert Fripp, Thurston Moore ou Justin Broadrick, l’écoulement du temps sur les cordes. Des blocs de son, le drone, la fontaine d’harmoniques, signent la géographie de ses pièces musicales, tout comme celles de son compatriote canadien Aidan Baker. Une recréation, une inventivité qui se nourrit presque exclusivement des cordes, lesquelles deviennent génératrices de tonalités, bouclées, traitées jusqu’à former les nombreuses couches d’une musique complexe où la répétition et l’évolution s’apparient au cœur d’un même bouillonnement respirant. Dans ces conditions, la guitare suffit comme source, intensifiée par ses nombreuses boîtes et pédales. Thisquietarmy, c’est en quelque sorte le « One Man Army Corp » du drone de cordes, et c’est pour cette raison que les apports synthétiques sont habituellement presque inexistants dans la musique d’Eric Quach.
Pour Democracy of Dust, il a précisément choisi d’initier ses morceaux avec des séquences de synthétiseurs qu’il a enregistrées à Sao Paolo. Plus tard, il les a festonnées de ses cordes, vernissant de couches ambiantes ses distorsions maîtrisées. Il s’agira d’observer combien la fusion des cordes et des touches a été opérée de manière organique. Pour l’exemple, la pulsation ouvrant l’album donne le cœur artificiel d’un flot d’harmoniques vibrants, exsudé des cordes où coulent le chorus et le delay. Presque dans chaque pièce des deux premiers tiers du disque, se déroule une pareille colonisation du synthétique par la corde, de son absorption ou, mieux dit, de son assimilation. Le rythme, la séquence de la machine se muent peu à peu en oscillation inconsciente autour de quoi tournoient en une danse savante les proto-mélodies du guitariste, offrant dans cette cadence à entendre un nimbe cold wave qui s’augmente du discret ajout de clavier. Les résonances aussi en tirent profit (c’est une musique au bord du temps, de la fragmentation de la boucle en mélodie, et la formule n’a pas changé), comme dans la fragile apparition de Transhumanism. À peine pourrait-on reprocher l’épaisseur industrielle du mécanisme ouvrant le morceau The Harbinger, mais c’est pour laisser, symboliquement et effectivement, une plus large marge de manœuvre aux synthétiseurs très cosmiques qui suivront dans ce morceau. La place est alors justement partagée, les rôles équilibrés entre la guitare et le synthétiseur, et l’on pense au Ricochet de Tangerine Dream pour une partie de morceau, influençant les suivants, les deux derniers de l’album, retrouvant les teintes mélancoliques d’une musique qui raconte plus que jamais, au sol ou au-delà de l’atmosphère, comment la vapeur de son apprend à se condenser.
Denis Boyer