nowhere worldwide
Le support informatique permettant d’allonger le temps de l’expérience, Francisco López a lui-même édité sa dernière série de compositions sur une carte USB, pour cinq heures d’immersion sonore. Le monde du son, ainsi plus que jamais « panoramaïsé », est le terrain d’exploration de prédilection de cet ancien professeur de sciences à l’université de Madrid, musicien avant même d’être expérimentateur sonore. Nous avons souvent parcouru de conserve avec López ses mers de son afin d’en observer les vagues, les remous, les surfaces huileuses, bref sur le pont par mer calme ou par gros temps. Francisco López s’est donné pour but d’explorer sans relâche la nature même du son, ne donnant pas toujours l’origine des sources qu’il manipule. Pourtant, depuis quelques années, il a souvent revu son rapport à cet anonymat. Si cette pièce titanesque est encore nommée Untitled, l’on connaît les sources qui l’ont alimentée : des heures de son ont été captée à la Régie de Chauffage Urbain de Fontenay-sous-Bois. Alors, la géologie sonore de López a opéré. Il a combiné des « myriades » de couches pour les superposer, procéder à leur subduction, les plisser, les compacter ou encore les fragmenter pour les réduire en une poudre composite et gemmifère. Il arrive alors, comme souvent dans la texture refaçonnée par Francisco López, que l’on découvre des nodules, des cristaux, des dessins qui donnent à admirer la qualité du son en soi. C’est un travail d’artisan autant que d’artiste, de scientifique autant que de technicien. Francisco López est tout cela. Untitled #352 donne d’abord à entendre dix plages de trente minutes chacune, intitulées MANTRAcks. L’allusion forte au mantra, la répétition plutôt que l’étirement détermine ainsi la temporalité de chacune des pièces. Chaque rythme inscrit dans le dessin de la texture, du grain, de la brillance ou du profond bourdon, devient une respiration sonore, une pulsation machinale au cœur du flot recomposé. Le deuxième MANTRAck lui-même, en apparence totalement linéaire, devient, par la qualité du travail, capable de stimuler une sorte de fredon, de retour sinusoïdal.
Au terme des cinq heures d’expérience, d’immersion dans les MANTRAcks, une ultime plage de vingt minutes propose le premier travail issu du traitement des sons captés dans la régie de chauffage, leur genèse en quelque sorte. Il s’agit d’une pièce intitulée Exposure, bande-son d’une chorégraphie d’Anne Collod. Elle se détend, à la façon d’un gaz comprimé, en plusieurs couches de densités variées. Le grain évaporé, le flux encore liquide, l’ondulation même de la fuite, donnent le modèle linéaire de ce que seront les retraitements circulaires écoutés auparavant. Il s’agit d’une pièce typiquement lópezienne (jusqu’aux effondrements de couche, leur disparition provisoire, pour mettre en évidence l’infime qui fourmille dans le terreau), aride lorsqu’on l’appréhende, riche de myriades de réactions physiques lorsqu’on ajuste l’écoute. C’est aussi, ajouté aux MANTRAcks, l’avers d’un travail méticuleux sur le temps.
Denis Boyer