three:four Records
« Seule je retourne sur mes pas, je reviens sur les traces de mon enfance, là où l’imaginaire était roi. » Ainsi parle l’héroïne du film Ruins of Time, de Mathieu Peteul, au terme de la bande-annonce.
La musique est par excellence l’art du temps, qu’elle s’en arrange, l’accompagne, le distorde, ou tente de l’escamoter jusqu’à jouer son immobilité.
C’est de tout cela que s’est emparé le duo Maninkari (Frédéric et Olivier Charlot) en composant la bande originale de Ruins of Time. Les quatre pièces qui accompagnent ce court-métrage (ici étendues) sont publiées par le label suisse three:four records, sur un disque vinyle dont la pochette reprend des images du film, dans leur teinte bleu nuit.
Qui a connu l’insomnie sait que dans la nuit, le temps se distend, plus rarement se comprime. Ainsi certaines séquences du court-métrage (le courant du torrent…), ainsi la musique de Maninkari qui, hors du souffle et du bourdon ténu, fait naître une vague d’inquiétude par la réverbération du synthétiseur. Ailleurs, le violoncelle dont la tonalité a été abaissée d’une octave, se trouve lui aussi sujet à l’effondrement du temps, abaissé, alenti pour plus de nuit. Cette messe nocturne est une porte, une courte cérémonie qui ouvre sur la suite d’un album où brume et cheveux d’une lumière résiduelle s’entrelacent jusque dans le souffle. Comme l’alvéole piégée, happée de la sorte, la note et ses harmoniques ondulent.
Le présent (qui se dérobe), la forêt, deviennent environnements d’inquiétude avec lesquels il faut désormais s’accorder, claudiquer en compagnie des percussions, tournoyer en frôlant la dissolution dans le sillage du drone métallique.
Les pieds dans l’humus, le crâne dans l’éther, on reconstruit, de conserve avec l’héroïne, un périple dans l’instance du souvenir magnifié, enchanté. Descente ou ascension, toujours dans le souffle de la nuit zébrée, avec pour seul repère une voix à la croisée des chemins (Sofia Atman), dont la résonance s’entend bientôt dans la pièce Limbo, parente du Lux Æterna de Ligeti, et encore dans l’ultime The Forest is Madness, où le bourdon du chant lointain sonne comme le plus fantomal des appels à s’ensauvager dans la nuit.
Denis Boyer