Ant-Zen / Audiotrauma
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Conduit par les frères Arnaud et Sylvain Coeffic, le label Audiotrauma a élargi ses horizons dans le même temps que l’incarnation musicale d’Arnaud Coeffic, Sonic Area, enrichissait sa musique pour dépasser les conventions électro. Souvent, très souvent, la musique des disques Audiotrauma est électronique, mais ces disques montrent aussi une musique libre qui peut déjouer voire abandonner les codes électro-industriels les plus encombrants.
Trois disques, publiés récemment, ont en commun sur ce label, et ils partagent cela avec Sonic Area, le goût de l’épopée. Il ne s’agit pas, après une telle déclaration, d’imaginer des hymnes héroïques, on en est loin. Mais plutôt de comprendre comment des nuits et des crépuscules, des formes indistinctes de gestes souvent issus de l’expérimentation, peuvent lever des fuseaux dont le goût de l’aventure et de l’énergie prennent leur essor comme pour une aurore.
Le duo Meta Meat est constitué de deux musiciens qui ont chacun, depuis des années, pratiqué dans ce lieu de l’entre deux, entre deux villes, deux pays, deux moments du jour, deux tempéraments. Phil Von, l’un des deux ventricules de Von Magnet, et Hugues Villette, l’une des masses de 2kilosandmore, s’allient ici en marge de Von Magnet puisque H. Villette et Séverine Krouch (également de 2kilosandmore) ont intégré la plus récente incarnation du groupe de Phil Von et Flore Quétier. Meta Meat ne surprendra pas les connaisseurs de Von Magnet qui pourtant se trouveront en terre aride. Si souvent Von Magnet a résolu l’oxymore d’une froide chaleur, que le soleil a presque toujours éclairé sa musique, elle connaît aussi des routes et des haltes où s’hydrater. Meta Meat est d’un abord plus sec. Et c’est ce qui prend forme ici, une épopée de la chair dans la sécheresse des mouvements rythmiques distribués, avec ou sans électronique, dans de complexes et rigoureuses formules qui font les tensions et les torsions du corps extrêmes. Rythmes bien sûr, et muscles électro, fluides d’un moteur synthétique huilant des jointures au plus tendu de l’organique. Toujours, bien avant que ce fût une tendance, Von Magnet a pratiqué cette fusion du corps et de la silicone, du muscle et de la puce, du déhanché andalou et de la chaloupe robotique, le « flamenco mutant », le « computador ». Ici c’est un sang noir, abreuvé d’olives et d’épices, qui scande sa pulsation dans les câbles de plastique.
D’une pochette bien plus noire – un cœur noir sur un aplat noir – que celle de Meta Meat qui rougeoie dans l’incarnat des chairs et du soleil, le nouvel album d’Hologram, Amen : Requiem for Heart Fragment, est paradoxalement bien plus lumineux. Plus classiquement électro, il est encore, et ce n’est pas l’unique point commun avec Sonic Area, décoré de rayons célestes et de rutilances art nouveau. Comme sur le premier album, Martin Delisle / Hologram, emprunte beaucoup à la figure tutélaire de Sonic Area (jusqu’à parfois créer la confusion), notamment sa capacité de mise en scène dramatique, narrative, mais également beaucoup de ses sons. Le souffle épique se dirige toutefois vers d’autres espaces, plus abstraits, « géométriques », jusque dans la mise en scène parfois orchestrale qui peut rendre le pied de rythme trop présent, trop fréquent, trop fort dans le deuxième morceau ou, à l’inverse, dans une tension, une montée haletante, où la pause au milieu d’un monde flottant transforme un chœur en vague synthétique bleutée, où les violons coupent les jambes qui repartent une fois fondues au chrome des diastoles et systoles huilées à souhait, hachant superbement l’allure en une manière d’effet Maret sonore.
La course est différente chez Näo, qui garde de l’électro emblématique du label une façon de décorer voire d’introduire, mais qui donne le principal de son exercice dans un rock mathématique lustrant le miroir solide de toutes les brillances. L’introduction cosmique ou séquencée donne en fait le ton de l’album Duel, elle prévient d’une profusion. Il ne s’agit pas seulement d’une puissance de ton, de production, d’une ampleur de respiration, mais également d’un grand talent de mise en scène, de naissance mélodique, de mise en boucle du fredonnement, en un mot d’une belle maîtrise du songwriting. Songwriting sans paroles il est vrai que l’aventure des histoires musicales peut aussi se passer de la narration des mots en recréant un époustouflant cinéma autonome. De célèbres devanciers de cet exercice projeté dans l’esthétique héritée de la new wave, tels Mogwai, Red Sparrowes, Explosions in the Sky, ont réaménagé ce territoire. Mais répétons que l’électronique est presque toujours présente, plus ou moins dosée, offrant des rutilances ajustées aux plus savantes circonvolutions des cordes et de la batterie. Elles peuvent aussi onduler, comme là où naît la séquence rythmique du morceau No Up, réminiscentes du Pushing You Too Far de Treponem Pal. Les trois remixes de morceaux plus anciens, qui concluent l’album, observent cette même alliance de l’électrique et de l’électronique, sans déséquilibrer le métabolisme au profit du second. Ils avancent à pas cadencé, soulevant chaque fois un rêve d’orient chromé, une poussière où trois ors se mêlent, un délié de notes qui fuient vers le ciel immaculé, une promesse de tranquille et puissante épopée.
Denis Boyer