Glacial Movements
Justin Broadrick et Diarmuid Dalton ont tous deux passé leur jeunesse dans les HLM (Council Estate) de Birmingham. C’est là qu’ils se sont rencontrés, par l’intermédiaire de Christian (Benny) Green et c’est là qu’ils ont commencé, tous, à consacrer leur vie à la musique. Depuis plus de trente ans, Broadrick et Dalton collaborent plus ou moins régulièrement, dans Jesu ou Final ou Greymachine principalement. Ils ont aussi fondé Council Estate Electronics et l’on devine, à la simple lecture de ce nom, qu’il est affaire d’un passé commun. Mais il ne s’agit pas d’explorer le punk, la new wave, la musique industrielle et metal comme ils le font ailleurs, non, le projet vise à « rendre hommage à la musique synthétique qui les a influencés dans leur jeunesse : Tangerine Dream, Throbbing Gristle, Kraftwerk, Cluster (Moebius et Roedelius), etc. et de l’adapter à l’imagerie et à la géographie des HLM de Birmingham où ils ont tous deux grandi ». S’il s’agit de la première sortie physique du duo sous ce nom, après deux albums au format digital, c’est surtout la continuité d’une démarche amorcée dès le morceau Voidbeat 1 (Final vs. Solaris) qu’ils donnèrent au CD accompagnant le Fear Drop 3, il y a de cela vingt ans. On trouvera, au gré de la discographie de Justin Broadrick, d’autres incursions dans l’électro minimale, comme dans The Sidewinder ou Zonal, deux projets réalisés en compagnie de Kevin Martin.
Council Estate Electronics pratique donc une musique minimale, électronique et doucement évolutive. Il conviendra d’apprécier cette dernière qualité à l’aune de la température spectaculairement basse qui guide ces compositions : invité par le label Glacial Movements, spécialisé dans l’ « arctic ambient », le duo a appuyé sa naturelle tendance à l’entropie musicale. Les beats, réguliers et secs, se laissent volontiers submerger par les nappes de brume, maintenant l’assise cardiaque dont l’opiniâtre explorateur économe de ses réserves a besoin pour avancer dans la couche de neige craquante. Tels les artifices lumineux que le Nord ménage – parhélie, aurore boréale, fata morgana… –, les mirages sonores sillonnent cette musique austère mais peuplée. Des échos se tissent dans la nappe, des réverbérations dub, des ondulations orangées, un fredonnement sinusoïdal au fin fond du panorama. On songe parfois aux frères Voigt (Gas et Sturm), à Bvdub, Pole, Moritz von Oswald, Burnt Friedman, Vladislav Delay… Et avec eux tous, Council Estate Electronics partage une élégance glacée, où paradoxalement le chrome devient ductile. Un sang nouveau coule dans une telle musique, un sang qui n’a plus désespérément besoin de 37°c. Jusqu’où la rêverie peut-elle apparier la grisaille de Birmingham à la blancheur des étendues arctiques ? Ce serait aux deux artistes de répondre, par prérogative. Mais l’on peut acquiescer à la possibilité d’une pareille liaison, et c’est par le timbre de ce que Klaus Schulze intitula autrefois « paysage d’hiver électronique » (sur l’album Mirage) : une musique résolument technologique, postindustrielle, et dans le même temps rutilant d’ondes courtes et de boucles crépitantes, comme l’acier rouillé, ou la glace brisée (Le titre de l’album, Arktika est le nom de deux brise-glace russes à propulsion nucléaire). Le temps, crépuscule éternel ou aurore interminable, a tôt fait d’y transformer l’haleine en nuées de cristaux.
Denis Boyer