Les Editions Vibrisse
Utiliser le corps humain comme objet sonore n’est pas une idée neuve, on rappellera, sans souci d’exhaustivité, Daniel Menche, les Coum Transmissions, Einstuerzende Neubauten, CoCaspar… La particularité de ce travail de captation réalisé par Ogrob (Sébastien Borgo de L’Autopsie…) c’est l’utilisation quasi totale du corps dans le processus. Des sons, des bruits, fournis par Vomir (Romain Perrot) sont diffusés avec des haut-parleurs fixés sur la cage thoracique de quatre femmes. Le son les traverse, amplifié et transformé par les corps, leurs mouvements internes et leurs humeurs secrètes. Processing uniquement corporel, cette modification est récupérée par des hydrophones placés dans le vagin des quatre femmes. Machine à transformer par excellence, le corps digère ici le bruit, filtre la matière sonore et la fait sienne au terme de formules complexes.
Quatre pièces, du nom des quatre femmes, la première, Valérie, inaugurant l’expérience par la restitution lointaine de notes de piano. Le reste des bruits diffusés par Vomir, le « harsh wall noise », emmène plus loin de l’environnement ambiant et culturel, pour aider à plonger au cœur d’un système plus diffus. Le souffle granuleux qui s’échappe du corps sera présent dans les quatre pièces. Dans cette première, l’aqueux (mouvements fluctuants, débordements) le dispute au brumeux, par la recréation d’un écosystème aveugle. La matière de la seconde pièce, issue de Katia, est plus manifestement ignée. Le feu intime se nourrit de la granulosité, et le frottement des particules entre elles va jusqu’à éclairer cette pièce par la chaleur qui s’en dégage. Véritable foyer de combustion, cet organisme est caressé de l’intérieur par ces vagues sonores qui telles les flammes fusent en mèches épousant la courbe des parois.
La troisième femme, Alexandra, fait lever en elle une pièce plus aérienne. C’est un corps d’où sourd un souffle presque léger où virevoltent bien plus facilement qu’ailleurs les mille bruits d’une contingence organique toujours active. Elle se fait l’écho de tous les pépiements et résonances que son corps traduit et ajoute. Alors que pour Anne, quatrième et dernière femme à s’être prêtée à l’expérience, l’amplification ressemble à un printemps, au mouvement que les forces telluriques compliquent avant de laisser échapper les premiers rameaux de la saison. C’est donc la pièce la moins musicale, la plus trivialement organique, mettant en scène le travail d’un humus réchauffé, les gargouillis et les souffles répercutant à peine le son instillé, déjà assimilé dans leur propre formule.
L’utilisation du corps de la femme n’est pas seulement symbolique, il est hautement significatif. Car plus que son métabolisme qui, pour ce qui nous intéresse ici, ne diffère pas sensiblement de celui de l’homme, c’est sa dimension matricielle qui est valorisée dans ce projet. Lieu par excellence où préparer une musique organique, le corps et, en particulier celui d’une femme, donne véritablement naissance à un nouvel être sonore – elle l’élabore.
Sons organiques comme ceux d’un environnement extérieur, ces morceaux, récupérés aux portes de la matrice, ces Diffusions intradermiques et enregistrements en cavités corporelles, ne diffèrent pas radicalement de pièces réalisées à base de field recordings de milieu aquatique ou forestier. Ce beau travail donne à entendre, à lire le corps comme le faisaient les alchimistes, à la façon d’un microcosme.
Denis Boyer