Hymen
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Le surréalisme se proposait, dans le Premier Manifeste, de révéler « le fonctionnement réel de la pensée ». C’est en quelque sorte le projet que s’est donné Frank Riggio, en projetant une trilogie musicale à valeur quasi cinématographique, à visée de « révélateur ». Quoi révéler ? L’image bien sûr, née de la rencontre d’une imagination consciente et de la part trop souvent refoulée par les peurs. Haro sur les dualités, et voici le projet d’un déroulement globalisant et libérateur.
Le discours est singulier, la méthode l’est moins. Toute musique fertilisante pour l’esprit pictogène, toute œuvre musicale, maximaliste ou non, plantant son décor à la zone frontière de l’abstraction et de la figuration, remplit par principe le même rôle.
Voyons la forme. J’avais pensé, en écoutant le premier volume de cette trilogie, Psychexcess I – Presentism, à Sonic Area, dont le chef d’œuvre Music for Ghosts réussissait totalement, dans un format électronique augmenté par mille autres bruits, à faire lever un cinéma (en l’occurrence dix-neuvièmiste). Pourtant, Psychexcess I n’égalait pas cette maîtrise, Arnaud Coeffic (Sonic Area) et Frank Riggio semblent s’abreuver aux mêmes sources mais leurs tissus n’en sont pas pareillement hydratés. Les trop nombreux changements de plans ne permettaient que rarement la fermentation tranquille d’un panorama évolutif. Les instruments, factices ou réels étaient bien là, dans leur exécution de B.O., les fields recordings augmentaient bien le décor, l’émotion surgissait de part en part des brillances, mais les rapidités, le glitch surtout, et même quelques rythmiques scorniennes sans éclat, fracturaient trop souvent la chaussée.
Avec Psychexcess II – Futurism, Frank Riggio n’apporte par seulement le deuxième volume de sa trilogie, il rend la croissance organique. Peut-on risquer la parabole suivante : le présent insaisissable fuyait sur le volume 1, alors que sur le 2, le futur, en projet, prend la place et le temps de son déploiement ? Toujours est-il que les pièces, encore dans le dessein « d’abolir les dualités », s’expliquent en paysage total. Montagnes de rythmes, rivières de cordes, méandres de basses vissées, accidents tectoniques du ping-pong façon Aphex Twin, se dessinent dans une musique tantôt boisée, tantôt essartée, parfois spongieuse, continuellement lumineuse – jusqu’à l’épiphanie comme sur le morceau Flying Psyche II. Totalement onirique et paysagère, cette musique confond volontairement les prérogatives : les fuseaux électro chantent comme des voix et lorsque des voix paraissent c’est pour veiner le ciel en fuseau d’ozone. Psychexcess II – Futurism est une réussite organique dans le champ électro (haro sur les dualités !). Le futurisme de Frank Riggio n’a finalement que peu à voir avec celui de Marinetti mais cent ans se sont écoulés : la musique futuriste est advenue, la musique surréaliste est advenue, et c’est ici un disque à l’allure de manifeste.
Denis Boyer