Idiosyncratics
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Phil Maggi est de toutes les obscurités et il a vite montré, au plus loin du bruitisme qu’il a d’abord fréquenté, que le sourd, le mystérieux, le vertige, l’humide, peuvent s’enfler sur bien des levains. Motherland est peut-être cette patrie du noir, un noir alchimique comme un grand-œuvre musical. Dans l’athanor cuisent des field recordings, des synthés analogiques, des boucles, des guitares et divers samples de musique traditionnelle. Des réseaux s’y déploient, de la zone industrielle au quartier de la cathédrale gothique, nimbés d’une pluie versant du spectre de ténèbres. Le temps aussi se floute dans ces scènes d’un crépuscule éternel. Phil Maggi joue des allongements, des résonances, et lorsqu’une mélodie s’extirpe des bouillons obscurs c’est pour rapidement se boucler.
Si j’emprunte un tour si pittoresque pour présenter ce disque, ce n’est pas, je crois, trahir un esprit, que Phil Maggi a pensé en s’inspirant de travaux et spéculations ésotériques aussi divers et complémentaires que ceux de Giordano Bruno, Fulcanelli et du tailleur de pierre Robert Garcet. Un imaginaire alchimique, une lecture codée du monde résonnent ici. Ce sont les accords du feu et de l’eau, d’une musique que l’on hésite à qualifier d’ambiante tant elle s’active continuellement, tant ses espaces ouverts de répétitions donnent le gîte à une foule de micro-événements déroulant leur propre histoire. C’est peut-être le code de pulsation d’un monde qui nous était devenu étranger – ce mot Motherland, étrangement impossible à traduire en français sauf à tenter le barbarisme « matrie » – la clé de l’indistinct des origines, une musique de l’édification utérine, la complexe matrice d’un monde dont nous sommes le corps, lequel fut simplement baigné de noir et de son jusqu’au premier cri du monde.
Denis Boyer