Celer – Sky Limits / Hollywood dream Trip (Christoph Heemann & Will Long) – Would You Like To Know More?

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Sur la juxtaposition de la réalité et du rêve, certains ont écrit des livres (Bosco…), d’autres composent une musique de passage. Car il s’agit, lorsqu’on entreprend ce genre de projet, d’abolir la temporalité, les frontières, de devenir un « voyageur des deux mondes ». La lumière, le rêve, le bourdon… manifestations du continu, à l’extérieur de la parenthèse dans quoi se contiennent les évènements, le pittoresque, la matérialité, en d’autres termes la dimension empirique de l’existence. Will Long, alias Celer, élabore ce qu’il nomme un « warm drone », un bourdon chaud. Entendons d’abord, comme c’est le cas dans l’élégiaque Sky Limits, la vague d’harmoniques lumineux qui du flux au jusant, passe et repasse et, imperceptiblement, devient transport circulaire. Qui se souvient du début de son rêve ? La musique de Will Long est une succession d’épisodes qui, en dehors de la narration, ne connaissent ni introduction ni coda. Mais je m’aperçois que ce n’est pas véritablement la narration qui est exclue, mais la péripétie. Car cette musique raconte bien quelque chose, que chacun entendra, c’est une courbe de lumière mélancolique, de fredonnement scintillant dans le crépuscule où des sons cuivrés viennent dessiner les rubans célestes : le bleu agonisant reçoit l’hommage de l’orange vif. Ce n’est pas la seule distance prise vis-à-vis de la contingence. Une plage sur deux est un field recording, capté à Kyoto ou à Tokyo (Will Long y vit), où l’on entend du matériel, et des voix. Puis, comme au cours de ce voyage en train que Will Long décrit dans son texte de livret, la réalité et le rêve se fondent en seul faisceau. Ainsi en est-il du paysage qui défile, ainsi en est-il des pensées qui s’effritent aux portes de l’assoupissement, ainsi en est-il de la mémoire, thème majeur de ce disque, qui reconstruit notre temporalité sans s’y superposer. Les vibrations de nappe, leur fragilité et leur évanescence dans le tourbillon de la lumière, dans leur sphère sans cesse réinventée, se dispersent en d’audacieux jeux de miroir qui, aux abords de la mélodie, fredonnent déjà, et c’est bien un flot de mémoire qui remonte aux yeux.

Si le drone de Will Long / Celer, dans son serpentement nuageux, est un épanchement de purs harmoniques, il se laisse troubler lorsqu’il travaille en compagnie de Christoph Heemann qui, rappelons-le, fut la moitié de Mirror (avec Andrew Chalk). C’est ici un univers tout aussi fluctuant que la musique de Celer, mais la nappe y est ponctuée, fécondée par une granuleuse laitance. Les vents, les harmoniques, les cliquetis, les échos lointains de voix dans un espace vague, s’assemblent comme les alluvions effilochées, charriées par un courant bienveillant. Ainsi, la collaboration des deux musiciens, publiée sous le nom de Hollywood Dream Trip, est un jeu d’assemblage, conçu autour d’une boucle apportée par Will Long. Tout ce jeu consiste donc dans la nappe aux ajours compliqués, à y tisser un point tout aussi savant, sans jamais rompre la continuité. La multitude des sources, de leurs traitements, ne déchire ainsi jamais le rang, participe, même lorsque l’oreille prend du recul, à cette texture qui emprunte tant à la ruche qu’au hall de gare ou encore au vent dans un herbage que la faux a épargné. Et toujours, baignant le panorama ondoyant, le bourdon pulvérisant sa lumière, fredonnant un lointain inaccessible. Il ne reste qu’à plonger pour tenter de s’y dissoudre à son tour.

Denis Boyer