Ambivalent Scale
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Mania Sour est sans doute l’occasion de regarder combien le monde si défini du duo Eyeless In Gaza recèle de riches variations, lesquelles peuvent se décliner dans la nouveauté. Le précédent album, Everyone Feels Like A Stranger, libérait assez de mélancolie brumeuse et minimaliste, de fraîcheur vocale alliée à de savantes pentes instrumentales pour évoquer dans le même temps deux albums aussi dissemblables que Rust Red September et Back From The Rains. La torsade ADN d’Eyeless in Gaza superpose ses hélices, jusqu’à les croiser. Aujourd’hui, plus proches que jamais du fantôme folk qu’ils ont toujours invoqué, Martyn Bates et Peter Becker ont dénudé leurs compositions, et cette percée jusqu’à l’os a réveillé comme par échauffement l’énergie produite par leurs disques fondateurs Photographs As Memories et Pale Hands I Loved So Well, voire certaines chansons de Caught In Flux. La voix éternellement jeune de Martyn Bates, s’apparente toujours plus aux possibilités de l’eau dont ce nouvel album Mania Sour fait sentir les cataractes les plus glacées et les plus bouillonnantes. Certainement, la guitare joue le rôle du pivot autour de quoi tous les tempéraments du disque viennent s’aboucher comme par appel centrifuge. Peut-être érodé par tant de contacts avec les basses, les percussions, le piano et les sons manipulés, cette guitare est à la fois l’une des plus nerveuses de l’histoire du groupe et l’une des plus effrangées. Effondrées dans les sons de bordures, les cordes s’étendent paradoxalement dans un monde musical dont l’un des piliers esthétiques a toujours été le minimalisme. La force de la brume sans doute.
Même teinte de pochette, et même rappel à un folk new wave dans le nouvel album solo de Martyn Bates, Arriving Fire. Accompagné une fois encore sur certains morceaux de Peter Becker, d’Elisabeth S et d’Alan Trench, Martyn Bates trouve toujours le ton juste pour arpenter ses ballades pluvieuses comme des chemins forestiers. On y rencontre, sur le tracé des cordes acoustiques lumineuses, des tintements, des field recordings, la bienveillance et la recherche de la grâce, la nostalgie qui refuse l’immobile. Des ramifications bien connues apparaissent aux croisements – le morceau Port of Stormy Lights reprend le titre du EP de Martyn Bates publié par Sordide Sentimental en 1990. Des respirations envahissent çà et là cet univers musical faussement minimal pour terminer de faire entrevoir, au coin d’un accord, d’un harmonique d’orgue, le contentement d’un chant comme une aube, un surplomb du paysage dans lequel le spectateur met en résonance les peines et les exaltations de son cœur solitaire avec ce qu’il contemple.
Denis Boyer
2014-11-26