Alone At Last / Monochrome Vision
www.alone-at-last.com
Crónica
www.cronicaelectronica.org
Gradual Hate
www.gradualhate.info
Ferns
http://fernsrecordings.free.fr/
Se plonger dans le son, redécouvrir chaque fois sa nature, accéder à la source ontologique du phénomène sonore, et entrevoir la réalisation d’un autre monde, compris comme une composition mentale à partir des éléments de cette exploration, voilà le cœur de l’œuvre de Francisco López. Pour cela, se débarrasser de tout a priori est un vœu pieux auquel López est toutefois très attaché : condition selon lui de la liberté d’appréciation du phénomène pour lui-même. Pourtant, pas plus l’auditeur que le musicien n’est exempt d’expérience, de sentimentalité, et aussi profond que sonde le son, il remonte toujours une image de l’inconscient. Le double CD untitled (2010 ne déroge pas, pas encore, à cette règle de distance établie par López depuis de nombreuses années, son titre l’atteste, mais pour ce premier CD (double CD) publié par le label russe Alone At Last (branche de Monochrome Vision), Francisco López s’est autorisé trois images de matière organique, sans légendes, d’assez gros plans pour que leur source demeure indéterminée, au même titre que le son. Mais ce sont tout de même des images. Peut-être n’est-ce pas un hasard, la musique est commentée. Il s’agit de pièces réalisées en 2010, à partir de sources très différentes et, à la manière d’une compilation, cet album ouvre un large panorama de l’œuvre de Francisco López. On entend évidemment les longs filins de sons tissés, se superposant à la manière de masses d’eau auxquelles la gravité permettrait de ne pas se mélanger, tout en se précipitant vers la même chute. Tantôt l’une s’égare, et un étage disparait sensiblement. Ce n’est pas tout, des mouvements plus expressionnistes prennent forme, de loin en loin, des battements assourdis, un drone gelé perdu dans les brumes, des hululements, des vrombissements, surgissant d’écoulements humides, et même un fantôme de voix dans le vent. Cette variété marque assurément une nouvelle manière dans le geste Lópezien, le saisissement d’un surplus de lumière, éclairant des zones de la matière sonore encore peu visitées. L’album untitled #284, bien que construit sur un jeu de sources unique, enregistrées il y a vingt ans à Lisbonne, met en place des compositions qui créent elles aussi une tension dramatique, dans la montée ou la disparition de certains épisodes, dans la redondance de certaines séquences et, complémentairement, dans la fragilité de quelques autres. Une peur peut-être, un lieu d’inquiétude, après le son qui taille, celui qui embrume. Que la pièce, à la suite d’une telle ascension anxiogène, continue dans le chaos et une tempête de cris sans bouche, ce n’est alors que très logique. Ainsi, tout en relief, ce travail dicte bien plus ses images que les cataractes de drones ou les évanouissements cagiens des quinze dernières années. C’est, à la façon d’Amarok, l’album « arctique » que López avait donné au label Glacial Movements, un nouveau pas dans le monde des images, une mise en scène de la nature du son. De l’image au mot, au titre, il faut peut-être que la charge des proximités polaires soit acceptée (Amarok, mais aussi, Wind Patagonia…) ou encore que le mineur du son travaille en collaboration. Avec le Grec Novi_Sad par exemple, pour le CD Titans. Deux pièces, chacune par un musicien seul, mais à partir de la même source d’enregistrements pris en Grèce. Auteur de la première pièce de ce split-CD, Francisco López la fait naître aux abords du silence, où éclot dans un semi-brouillard ce que l’on serait tenté d’appeler un trait sinueux de lumière. Celui-ci évolue, à la manière d’une forme de vie primordiale dans un milieu qui le serait tout autant. Car, quel que soit le degré d’expressionnisme de López (que l’on situera sur l’échelle de l’infime), sa musique dessine toujours sa figure aux frontières de l’absolu. De là rayonnent les éclats métalliques, les fontaines de mercure, les crépitements de forges boréales. Peu importent les sources, sait-on si elles sont reconnaissables ? Toujours est-il que vraiment différente est l’interprétation de Novi_Sad (que l’occasion engagera à réécouter sur le très élégant Mort aux vaches qu’il avait réalisé). Car elle gîte dans un sous-sol, une absence de lumière, au mieux dans une avare pénombre. Ce qui était jaune et bleu chez López, en un mot ce qui se donnait de sec, est ici hydraté et terreux, baigné d’un bel onirisme des profondeurs. En somme, le musicien grec n’est pas plus éloigné d’une grille de motifs fondamentaux. La même configuration, split-CD d’après des sources identiques, a été utilisée par le label Ferns pour un travail de Francisco López cette fois en compagnie du musicien basque Xabier Erkizia. Les sources, captées dans des centrales électriques le long de la rivière Bidasoa au Pays Basque, portent en bien des endroits le grésillement attendu. Erkizia, dont les pièces constituent la deuxième partie de l’album, prend place dans le ruissellement, comme en marge du canal de chute. Ses masses électriques sont aussi fragiles. Périphérie de l’énergie, résidu des grandes masses, puis immersion périodique. Du noir, de l’oppression, de la corrosion, musique de l’altération patiente, jusqu’à de beaux nuages de drones panoramiques. Malgré l’identité de sources, la personnalité de chaque musicien détermine la forme autant que le fait le matériau, car de l’autre côté, il s’agit pour López de jouer de ces émanations, tout comme des forces qui sont en jeux. Telle une forge moderne, sa toile sonore évoque l’effort et la puissance, le roulis et la décharge contenue, le courant des électrons comme celui de l’eau, pour deux réalisations qui montrent le musicien espagnol dans la proximité de Toy Bizarre. Images disions-nous…
Denis Boyer
2012-07-24