Kokeshidsk
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Firework Edition Records
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Sortir du temps. C’est un défi que la musique assume en toute conscience depuis une petite cinquantaine d’années ; mais il serait trompeur de dire qu’elle n’a pas voulu le relever avant, la basse continue en témoigne, comme tout fredonnement monotone, depuis la nuit de toute musique, en forme le principe et la fin. Mais précisément : comment la musique peut-elle s’affranchir de tout principe et de toute fin, de toute borne et de tout chemin ? Saito Koji est un artiste qui s’est donné pour domaine la musique statique, comme d’autres habitent la peinture monochrome. Accepter de pénétrer son domaine, je veux dire sans laisser un pied à l’extérieur, c’est éviter le déroulement, dans le refus de toute verticalité et horizontalité. Mais simplement vibrer au son de l’harmonique et de la lumière prise dans la fréquence de son déploiement. Fuseau d’orgue peut-être, plus vraisemblablement de corde, réverbération déclinée en couches, les unes continues jusqu’à ce que l’oreille ne les distingue plus du ciel, les autres ondulantes et vaporeuses, s’y élevant. Early works compile trois EP épuisés, et c’est la deuxième fois que Jean-Marc Boucher publie Saito Koji (la première fois avec le 3’’ Prayer sur son label-mère taâlem). Les boucles, les fuseaux, loin de se répondre à la manière d’un rythme et d’une mélodie, s’apparient en fusionnant, au profit de la réverbération ; une fois encore c’est un programme, la plus belle contrefaçon de suspension du temps – contrefaire l’infaisable voilà une belle réussite. De manière plus grise, moins éclairée, moins hydratée, mais tout aussi intéressante, Kent Tankred publie sur Firework Edition Records, le label de Leif Elggren (ils sont tous deux fondateurs du collectif suédois The Sons Of God), un disque manifeste, There is nothing to attain. La valeur du chemin supérieure à celle du but, un concept qu’on s’attend à voir décliné en progression, lente ou accidentée, mais l’album est statique, ce qui offre en quelque sorte une nouvelle profondeur au slogan, le creux ultime, la méditation dissolvante, celle du Buddha peut-être. Le fil est beau, bien plus riche lorsqu’on l’écoute de près que ce que son austérité laisse d’abord penser. Un souffle le nimbe et une petite lumière jaunâtre l’accompagne en peluche. Des différences de hauteur, à la fois de ton et de volume, ténues, l’apparentent à une respiration qui, pour contrôlée, n’échappe pas à sa condition organique. C’est tout le succès de Tankred, l’organicité offerte au faisceau du gris métallique statique, proche en cela des vibrations de Claude Lévêque. Il y a effectivement un chemin dans le plan de cette réalisation, mais il est débarrassé de son obligation d’horizon, de l’échéance de l’arrivée qui fait bien souvent négliger les étapes. Car le mouvement qui se veut statique est celui qui ne mène nulle part. C’est une musique qui perd la distance, qui s’est jouée du temps comme de l’espace, ou pour mieux dire en citant Philippe Jaccottet : « Notre mètre, de lui à nous, n’avait plus cours : autant comme une lame, le briser sur le genou. »
Denis Boyer
2012-07-13