Touch
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On a un temps considéré la progression musicale de Geir Jenssen dans Biosphere comme linéaire. Parti de ce que l’on appelait IDM, une techno minimale où germaient les mélodies fantômes et les brillances, il avait peu à peu essoufflé le rythme pour se concentrer sur les ambiances, jusqu’à leur accorder le plan principal, dans une vague d’harmoniques encore métallisés mais toujours brumeux. A ce moment, il pouvait aussi bien recycler Debussy (Shenzou) ou visiter la lune en compagnie de Jules Verne (Autour de la Lune), on ne voyait pas de bifurcation ni de palinodie. Souvent construits autour de concepts précis, les albums de Biosphere peuvent toutefois varier sensiblement dans la distribution des éléments rythmiques, des boucles, des nappes, ou de la mélodie. Pourtant, c’est encore plus de distance que Geir Jenssen a prise pour réaliser N-Plants ; une distance temporelle d’abord qui, à ressusciter les premières amours technoïdes de son alias, puise dans leur origine, une synth-pop qui doit beaucoup à Kraftwerk mais aussi à des pionniers de deux décennies en avance, comme Raymond Scott. Le thème de l’album n’est évidemment pas étranger à cet exercice de style. Début 2011, Jenssen décide d’enregistrer un album « inspiré par le miracle économique japonais post-1945 ». Au cours de ses recherches, il découvre qu’une centrale nucléaire (nuclear plant) se trouve sur un site remarquable, en bord de mer, dans une zone sensible aux dangers sismiques. L’album est terminé mi-février, basé de manière prémonitoire sur ce qui représente l’extrême danger du développement industriel. La musique ne révèle en rien ce qui pourrait – ce qui a été – un désastre majeur. Cette musique n’a rien de cataclysmique. Dans son aspect général, elle reflète plutôt cette ambivalence de la simplicité rutilante et de la mélancolie d’une société si industrieuse. Parlons de rétrofuturisme, pour appeler autrement les influences citées plus haut. Ce qui est plus frappant c’est que cette simplicité de forme – certains diront dépouillement et ceux-ci je le sais ont été décontenancés par ce qui ressemble à un abandon de la sophistication – et cet appel à des boucles simples et à de belles épiphanies mélodiques (Genkai-I, Fujiko…) touchent comme la nostalgie peut le faire, à la façon d’une tristesse douce qui se sait loin de sa consolation ; tout ensemble par le saut dans le passé lointain, celui des timbres poste et des belles images d’un Japon élève zélé de la recherche scientifique, et par la dette atroce qu’une telle inflation énergétivore et technologique lui a fait récemment payer.
Denis Boyer
2012-07-13