Monotype Rec.
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Les disques de Lionel Marchetti sont relativement nombreux, dispersés sur plusieurs labels, et la plupart du temps publiés plusieurs années après la conception de la pièce ou des pièces qui les composent. Musicalement, d’autres points communs peuvent être repérés, qu’ils soient formels ou structurels. Notamment, des sons tombant comme s’abat la lanière du fouet, lacérant l’air. Ou encore l’élévation par strate, dans un mouvement respiratoire, des constructions qui s’élaborent dans une musique concrète des plus remarquables. Aujourd’hui, le très actif label polonais Monotype Rec. réédite sur un double CD trois des quatre pièces « montagnardes » du musicien lyonnais : La grande vallée, Portrait d’un glacier et Dans la montagne – seule la courte pièce Riss (l’avalanche) ayant été écartée. J’avais déjà eu le plaisir, dans le numéro 13 de Fear Drop, de proposer une progression commentée de ces quatre œuvres de Lionel Marchetti. Le texte, intitulé Portrait de Lionel Marchetti en montagnard, est encore disponible à la lecture ici (http://www.oeuvresouvertes.net/spip.php?article904) et là (http://www.larevuedesressources.org/spip.php?article1423&PHPSESSID=e7ab6e1f75bb4f40a22cf70e4d00931a). J’avais choisi, suivant un principe d’ascension physique tout autant que métaphorique, de partir de La grande vallée pour parvenir à Dans la montagne, ce dernier disque portant un titre presque trompeur, puisque tous les sons le composant provenaient d’une salle de kendo. L’effort, le bruit du bois, s’accordaient pourtant à une idée de l’effort ultime, la montagne devenant paradigme du lieu de dépassement et plus seulement espace physique. En revanche, je n’avais pas eu l’occasion de chroniquer la quatrième pièce rééditée sur ce double CD, L’œil retourné, dont le titre semble traduire les mêmes obsessions qu’un autre travail plus récent, réalisé avec S. Murayama , Hatali atsalei (l’échange des yeux). L’œil retourné a originellement été publié sur un split-CD en compagnie de RLW. Comme celui-ci, Marchetti avait emprunté quelques citations sonores à son « colocataire », en sorte que L’œil retourné fonctionne de loin avec la pièce de Wehowsky Vier Vorspiele. Que voit l’œil retourné ? Que voit le shaman lorsqu’il s’absente ? Que voit l’œil dans la position qui lui est interdite, lorsqu’il lorgne vers l’impossible ? Ou plutôt, pour ce qui nous intéresse, qu’entend-il ? Ce qui est sûr, c’est qu’il perd la lumière, pour se trouver dans un univers obscur, une camera obscura où tout espace connu s’est évanoui, où les limites de l’orbite sont tout aussi absentes. Le peuple des sons y marque un crépuscule éternel, parle la langue du fourmillement (la plupart des sons de la pièce sont mixés assez bas), hausse la pulsation (un synthétiseur analogique) ou même le rythme des profondeurs – les fameuses chutes de Marchetti, cette fois terriblement telluriques – auquel répondent les échappées de cris fragiles à se briser, et les zébrures de l’air qui sont à sa musique ce que la route est au paysage : une fracture tout autant qu’une perspective de lointain. D’autres fenêtres s’ouvrent alors, comme si la nuit surprenait des musiques en approche, une conversation, un effondrement vrombissant, qu’aussitôt le drone enveloppe, charrie, tel le liquide lacrymal que l’œil retourné avait gardé en viatique.
Denis Boyer
2011-08-24