Drone Records
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Ainsi s’achève la série de EP au format 7’’ du label allemand Drone Records, qui fut bien plus qu’une série, plutôt une anthologie en mouvement au même titre que la suite alm du label taâlem. Emblématique par son nom, qui est devenu l’appellation d’un chevauchement de style musicaux, ceux où le son bourdonne, se fixe dans le grondement ou la fragilité d’un rai lumineux, mais toujours suspendu à la paralysie du temps ; emblématique dans la diversité balayée par cent références, cent EP en dix-huit ans, une génération d’artistes du monde entier, exerçant sur un temps limité leur talent du bourdon. De Maeror Tri à Spiracle, la liste est consultable ici ou là, une première sélection d’extraits sur CD a même été proposée il y a quelques années par un label américain. Dans les pages de Fear Drop, l’apport de cette collection a été examiné, et c’est avec émotion que l’on voit se clore cette séquence. Pour prendre le relais, une branche de Drone Records, Substantia Innominata, dans un format plus long, sur support 10’’, se dirige plus théoriquement vers l’expression de l’indicible, de l’inexprimable, plonge plus profond que ne descend la sonde – nous aurons l’occasion très prochainement d’en rendre à nouveau compte dans les pages de Fear Drop. Portons le regard sur les deux dernières productions du label de Stefan Knappe, dont l’expérience de musicien (Maeror Tri puis Troum) l’a certainement toujours aidé dans le choix des artistes à solliciter. Le EP de Wyrm, Divination bones, contient par son thème et sa musique, l’essence composite qui fait la racine du label. Wyrm, un ancien nom (de quelle langue ?) pour serpent nous dit-on, est un duo américain qui rappelle épisodiquement Voice Of Eye, pour son utilisation du souffle tortueux, équivalent auditif d’une longue et lente distorsion visuelle. Musique à but psychotrope, elle absorbe les repères de forme et, à la manière de bien d’autres musiques bourdonnantes, elle extirpe l’auditeur du déroulement du temps. Les « divination bones » deviennent alors des éclairs aperçus des moments à venir. Tout cela est pour la fable. Il reste pour la forme et pour l’esprit un agrégat sans spectacle de filaments ténus et de vibrations boisées. Et même si l’exercice semble trop près de phrases qui n’ont pas su rester intemporelles (comme celles d’une certaine musique ambiante américaine, parlons de Jeff Greinke ou Steve Roach par exemple), l’abstraction, ou l’absence de lumière pure, garantit une psychonavigation sans écueil new age. Le EP de Spiracle est plus remarquable à mon sens. Sous le nom de Spiracle, le musicien japonais Hitoshi Kojo a composé quelques disques, publiés par Cloud Of Statics (le label de Michael Northam), taâlem ou encore Helen Scarsdale. Ce EP, choisi pour être le centième et le dernier « drone record », doit contenir tout ce que cette musique promet désormais, presque vingt ans après les débuts du label. Il offre une vue parfaite d’une tendance de plus en plus répandue, celle de l’exploration du son pour ses propres qualités, pour le pouvoir d’évocation en germe dans sa matière, sa texture, avant même que sa mise en forme puisse faire naître l’image. En fait, Hitoshi Kojo mise – et gagne – sur la puissance poétique de son tissage et non du dessin qu’il y imprimerait. Ou, mieux dit, il exhibe la beauté des dessins primordiaux que la fibre dévoile. Plus prosaïquement, les faisceaux de drone lumineux et suspendus qu’il travaille, ne laissent échapper au-dessus et au-dessous d’eux qu’une faible pulvérulence, mais leur mouvement le plus considérable se produit à la manière d’une valve, qui lentement absorbe puis expulse un liquide, un lent mouvement de respiration aquatique. Le corps devenu palais de glace, les humeurs devenues cristaux, ou la métamorphose accomplie d’une musique qui a retourné sa vue en elle-même.
Denis Boyer
2011-08-14