Sound On Probation
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Il y avait un temps où les deux Laurent étaient facilement confondus et, à l’écoute des disques de Nox (dont ils faisaient tous deux partie), on ne savait trop qui faisait quoi. Les années passant, les rencontres de visu ou épistolaires, la fréquentation de leurs musiques solo respectives, permettent de dresser les différences et les points communs des artistes, que l’on retrouve dans ce disque, non de collaboration mais de juxtaposition. Une première écoute, sans attention, pourrait pousser à une confusion des deux univers, et ils en ont joué. Tout d’abord parce que ces univers ne sont pas très éloignés, qu’ils se sont parfois croisés, et que les musiciens ont choisi de travailler sur ce disque autour de sons principalement issus de pianos. Alors, l’un et l’autre font pleuvoir les gouttes, dans la partie la plus aiguë du clavier principalement, s’accordent au mid-tempo, rarement marqué, et laissent dériver les jolis méandres des sons annexes. Voilà pour la communauté de l’exercice de style. Cependant, il s’en faut de beaucoup que cela suffise à les confondre. Laurent Pernice, invité sur le label de son ami, se voit réserver l’ouverture, puis ses morceaux alternent dans un rythme presque binaire avec ceux de Perrier. Les morceaux de Pernice donc, portent cette empreinte de l’infrajazz (le nom d’un de ses disques), le reliquat ascétique de ses explorations les plus rythmées, voire réchauffées, pratiquées durant toute la décennie 90. Retour à l’abstraction, mais il reste un velours dans les basses, un tangage de la rosée de cordes, un grésillement d’éclairage nocturne. Toute cette chaleur mise dans le chrome fait vibrer comme en manière d’évaporation les éclaboussures de piano, les condense en d’invisibles dialogues de mandibules. Sans doute aussi imprégné de la lointaine influence de Meat Beat Manifesto, Laurent Perrier a gardé quant à lui (on l’observe dans ses projets Pylône, Zonk’t), ce qu’il partage avec Scorn, la respiration coupée, la basse sous-marine et sinueuse, les éveils à ce peu de lumière qui sonde jusqu’aux abysses… Quant au piano, il est chez lui plus souvent distribué par les deux extrémités du clavier, et surtout répond à la chaleur de la basse par une mise en boucle qui évoque souvent Tap, un morceau oublié de Mick Harris, présent sur la compilation L’inachevé du label Sub Rosa. Je prends ce morceau comme paradigme car il représente à mon sens un accomplissement parfait de ce que beaucoup de musiciens de ce style ont cherché à atteindre, peut-être pas toujours consciemment, je veux dire l’inversion des prérogatives du rythme et de la mélodie, lorsque le piano devient instrument de pulsation et que les constructions de la boîte à rythme dessinent des volutes décoratifs. Laurent Perrier, ici, observe le minimalisme, la sécheresse et la brillance nécessaires à cette esthétique, et ce sera le départ sans appel entre sa musique et celle de Laurent Pernice, aussi voisines puissent-elles se présenter.
Denis Boyer
2011-08-14