C’est dans le vent et plus encore dans l’eau que Jana Winderen absorbe les formes les plus infimes et les plus diluées des résonances ambiantes. S’agirait-il de retrouver le grain de poussière dans la brise, le sel dans le courant, la fêlure dans la banquise, que l’entreprise ne serait pas plus difficile. Pour Energy field, elle a parcouru les mers boréales, et certains de leurs blocs de glace. Elle a pris sur le vif les sons de l’eau, des poissons, des crustacés, des craquements de la glace. Il y a d’autres musiciens (s’il ne faut qu’un nom ce sera celui de Cédric Peyronnet) qui ont pris sur eux cette nouvelle expression de la poésie, que la géopétique de Kenneth White a appelée de ses vœux : ils composent le chant du lieu (ou du voyage), la strophe sonore (musicale) d’un environnement, à l’aide uniquement des sons qu’il a offerts, comme un plasticien aurait à cœur d’illustrer un endroit d’élection exclusivement avec les matériaux et les matières qu’il y aurait collectés. Pareillement, Jana Winderen a recueilli tous ces sons pour composer trois vastes pièces, musicalisant les eaux polaires. Le style, dans le sens le plus pointu de ce mot, est appliqué avec la méthode tactile de la musique ambiante. Ici, les nappes sont tissées de brume et de résonances subaquatiques, les pulsations fantômes semblent issues du plus profond de l’iceberg, le rare crépitement sorti de la gelure attaquée. Enchantée de bleu et de gris, la musique de Jana Winderen, plus encore que sur Heated son disque précédent, s’habille d’eau et prend ses formes, ses goûts et ses tourments. Il se trouve que c’est l’eau du nord où la vie, rare, est à peine moins fluide, et cela ne cesse d’ouvrir l’oreille à l’insondable, perdu dans les profondeurs d’encre. Le drone a cette fausse légèreté, celle de l’engourdissement, déjà fécond d’un rêve arctique, proche, on ne sait, d’un grand moment de début ou de fin.
Denis Boyer
2010-05-24