Soleilmoon
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Il est impossible de penser la musique ambiante sans l’apport de Brian Eno. Il semble tout autant et rétrospectivement impossible de penser sa branche postindustrielle sans le point de mire que représente l’album Equator d’O Yuki Conjugate. Publié en 1994, produit par Paul Schütze, se laissant observer dans toute sa rotondité comme parfait de forme et de son, il s’entendait et s’entend encore comme un disque clé, marquant l’accomplissement textural, rythmique et mélodique d’une formation rare. Sept disques, quelques pauses, trois incarnations, la lente distillation d’O Yuki Conjugate a passé le marc des premières épopées du rock abstrait, post-Cabaret Voltaire, post-23 Skidoo, pour n’en garder que le fantôme, comme Brian Eno s’était lui-même débarrassé du rock sans en sortir. Pour les vingt-cinq ans du premier concert de la formation, tous les membres des différentes époques se sont trouvés réunis, à l’origine d’un concert, d’un CD et d’un DVD. L’ombre d’Eno, du Quatrième monde de Hassell, plane assurément sur le disque, on ne change pas la nature d’un ciel, pas plus que celle d’un sol. Les pièces, bien que selon différents dosages, s’arrangent dans un même bain, où les volutes de cordes (guitare, basse) s’associent avec le son de synthèse, confondant l’eau et l’air, offrant à la vue dans les deux cas une réfraction de l’orange au bleu. Les éclosions de percussions, en vagues de souffle, offrent la chaloupe que la vaguelette imprime à la surface, qui fait danser l’image des pierres au fond de l’eau. Le chant des cordes plonge jusque dans les racines de Robert Fripp, et c’est bien le moins pour des sons et des éclairages qui avaient déjà tout abandonné de la contingence : ils montrent ici leur vigueur, sinon dans l’éternité, du moins dans la composition d’une musique où la modernité n’est pas absente : le ciselage des effets de coupures, des échos, de la spatialisation. Sons et réverbérations puisant loin, balayant quarante années d’explorations sonores, et toujours l’âme d’un groupe, une tonalité et une pulsation, celle de la jungle imaginaire d’Equator, du brouillard de Peyote, de la profondeur de Undercurrents (In dark water)… Un énième monde, mais signé, dosé, mesuré, comme celui d’Eno, celui de Hassell, celui de Rapoon… Vingt-cinq ans et une magnifique cartographie, que le DVD joint permettra d’associer plus fortement aux gestes, aux visages, à la technique de ceux qui l’ont formé et entretenu. Les archives live et photographiques montreront à ceux qui n’auraient pas saisi le caractère éminemment organique de cette musique commodément qualifiée d’électronique, qu’elle vit de doigts, de peaux, et que sa brume n’en est que plus pénétrante.
Denis Boyer
2010-05-24