Purple Soil
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EE Tapes
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Maeror Tri, qui fut le premier laboratoire du duo Troum (et de 1000Schoen), connaît, ainsi que l’a fait remarqué Frans de Waard, un intérêt constant, voire croissant, ceci se vérifiant par le nombre des rééditions CD. Publié il y a bientôt vingt ans Multiple personality disorder était le premier CD du groupe, après sept cassettes. Comme de coutume dans Maeror Tri – et la musique de Troum ne s’est pas tant éloignée de ce principe – l’intérêt porté à l’esprit humain d’une part, à l’indicible et au mystère de la nature d’autre part, guide le thème des compositions qu’on peut alors sans grand écart qualifier de surréalistes. Cette fois c’était sur une forme grave de schizophrénie. Et si la musique ambiante modèle de Maeror Tri, électrique et organique tout ensemble, peut paraître dérangeante à une oreille non préparée, c’est le cas de milliers d’autres disques ! Non, ce qui précise sans doute le parallèle flagrant avec ce concept de personnalité multiple, c’est bien la distribution partagée entre les quatre morceaux principaux, de tendances musicales qui ordinairement se mêlaient ou s’appariaient dans leurs constructions. Ici, la première plage qui les précède ne dure qu’un instant, le temps par son éclair de quelques secondes, d’écarter la brume et la flamme comme par une implosion. Le paysage est peut-être éclairci, reste que le deuxième morceau débute comme un matin trouble d’été, qui tarde à rallier l’humeur ensoleillée. Les longs drones de guitare n’ont, pour les garantir contre l’aridité, que la laine de leur texture, gorgée d’harmoniques de nuit. Pour le reste, la forme se tient loin des reliefs et maintient l’horizon droit. Après cette musique d’inquiétude apparaît dans la troisième partie un vrombissement souterrain, un bouillonnement dénonçant cette alchimie de la personnalité versatile, la préparation crépitante et isolationniste du bleu nuit. La plongée dans la pièce suivante semble continuer, jusqu’au rugissement noise qui, s’il s’agit bien de la plus imagée des parties de ce disque, reste aussi la moins aboutie musicalement. Il ne faut pourtant pas s’étonner que Multiple personality disorder se termine par un rayon plus céleste, de ceux qui font les grains de lumière de cordes s’agglomérer de manière si lâche qu’ils se confondent avec un plain chant, aussi fantomatique que le volume le laisse deviner. Accès du dessus au terme du dessous. En revanche, pour ce qui concerne Yearning for the secret(s) of nature – dont il s’agit de la deuxième réédition CD par EE Tapes (la première fois c’était en 2001), la forme est bien plus homogène. Elle mêle ces textures de cordes affligées et lumineuses qui se préparent à signer l’univers de Troum, avec des rythmes hérités en grande partie de la musique industrielle. Il faut comprendre que c’est le type de disques qui rend précisément l’épithète industrielle caduque, qu’il ne lui laisse que sa configuration tout en la vidant de sa substance grise, ferreuse, aliénante. En un mot, un rythme émancipé de sa grisaille. C’est incontestablement dans une perspective bien plus romantique que les percussions sont utilisées, troublées par l’apport d’une ethnicité fantasmée dans leur jeu, à la manière dont l’avait préparé le groupe anglais Zoviet*France. Et puis, déjà, fixé pour la postérité du groupe et celle du duo qui l’a en partie poursuivi, le développement miroité des harmoniques de guitare, saisissement d’une cold wave projetée dans l’abstrait. Le concassage lointain (égaré parfois dans un bruitisme sans caractère), mais surtout l’onde des cordes si mélancoliques, et l’écho du fond de l’étang d’un bloc de voix, un fredonnement de pierres froides. Littéralement sourdue de l’eau, de la roche, et de ces gestes qui semblent portés par le vent, cette dimension de Maeror Tri est une expression du paysage, et pourquoi pas, de son origine.
Denis Boyer
2010-05-24