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La trilogie Hypernatural de Yoshio Machida arrive à son terme. Et ce dernier volume est certainement le plus lumineux de la série, le plus dense aussi, dans la proportion qu’impose une telle musique de la méditation, de l’inspection intime. Toutefois, son sujet le prédisposait plutôt par convention esthétique dirons-nous, à une sorte de brouillard d’un bourdonnement évanescent ou à un chapelet brisé de craquements. Ce thème, après ceux de la mémoire et de l’extension de la conscience de paysage, est l’oubli. Les fragments de sons d’orgue, les souffles de ces tuyaux doucement bousculés par le vent, et coupés chaque fois dans leur bavardage, participent d’un genre où Stéphane Mathieu est passé maître, bien que les compositions de ce dernier déploient des textures plus solides et moins sensibles aux agressions météorologiques (même lorsqu’il s’agit de neige !). Machida est, le long des morceaux de cet Hypernatural #3, comme un bègue victime d’une mémoire défaillante, recommençant la croissance de ses harmoniques, qui, opiniâtres, ne progressent qu’avec lenteur et comme conquis par de minuscules envahisseurs profitant de leur confusion : grésillements, souffles de tuyères aveugles, pianos en colonie d’insectes, échos clair obscur, séquences synthétiques comme réminiscences oniriques. Que d’entraves au bon déroulement de la séquence en mémoire. ! Cet oubli dont il est question, on le comprend, n’est pas malédiction, mais plutôt agent d’un ordre naturel qui permet la régénérescence du monde, comme la décomposition organique ou la répétition saisonnière. Cette hypernaturalité que Machida a mis dix ans à décrire, c’est peut-être le dessin, un fragment artistique, une traduction du saisissement agité, intrigué, de l’être devant la totalité muette et les lois qu’elle impose, tyrannique, entropique, et qui, au propre, le dépassent. C’est un autre monologue que l’essence du monde inspire à Brian Lavelle. Un autre point de vue aussi. Au tour de l’artiste de s’hypertrophier devant son phénomène, de s’emparer de celui-ci comme sujet, de le fragmenter pour jouir alors de sa propre capacité de grossissement. La loupe musicale de Brian Lavelle sur Supernaturalist lui a fait choisir quelques field recordings assez classiques, chants d’oiseaux, vent, coassements, qui sont les points, les angles, les reliefs d’un plus vaste tableau, mais jamais des pièces jetées de la palette sans autre forme de composition. Au contraire, il est peu risqué d’affirmer que l’esthétique figure parmi les premières préoccupations de ce disque. C’est un saisissement de la beauté que l’artiste ressent devant le tissu naturel et qu’il s’ingénie aussitôt à transfigurer par son geste. Le piano y apparaît, ainsi que les cordes de basse, la nappe synthétique, le drone. C’est l’automne et le printemps, suivant les morceaux, vus à travers la buée matinale qui brouille le carreau. Essuyée, elle laisse voir la prairie, ses coteaux, ses souvenirs et ses promesses. Le fil d’harmoniques comme le temps, continu et variant dans son immobilité, les pluies d’une timide esquisse mélodique au piano, l’orage de début ou de fin de saison, qui menace au loin. Il n’en est pas beaucoup plus pour un appel aux larmes. Cette nature que le poète hèle ou remercie de ses vers, Brian Lavelle supernaturaliste lui a ouvert sa fenêtre pour la faire sienne, la nimber de sa mélancolie, l’intégrer. (On écoutera également la pièce de Brian Lavelle composée dans le même esprit, sur le 2e volume de la compilation Table for 6, publiée elle aussi par EE Tapes. Il y est présent aux côtés de Laurent Perrier, Objekt 4, A. Marutti, Lutnahimat, June 11.)
D.B.
2008-09-15